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— Je dois ajouter cependant, non-seulement pour justifier Charlotte, mais pour rendre hommage à la vérité, que son premier mari, qui dès cette époque cherchait à obtenir sa main, était un homme d’un mérite rare et possédait des qualités supérieures. Oui, supérieures, vous avez beau sourire, messieurs, aujourd’hui comme alors vous chercheriez en vain à les nier.

— Convenez, chère amie, dit vivement le Comte, que cet homme ne vous était pas indifférent, et que vous étiez pour Charlotte une rivale redoutable ? Je ne vous fais pas un crime du souvenir que vous en avez conservé. Le temps et la séparation n’effacent jamais dans le cœur des femmes l’amour que nous avons eu le bonheur de leur inspirer, ne fût-ce que pour quelques jours, et c’est là un des plus beaux traits de leur caractère.

— Il existe aussi chez les hommes, chez vous surtout, cher Comte, répliqua la Baronne. L’expérience m’a prouvé que personne n’a plus d’empire sur vous que les femmes pour lesquelles vous avez eu autrefois un tendre penchant. Tout récemment encore, vous fîtes, à la recommandation d’une de ces dames, et en faveur de sa protégée, des démarches auxquelles vous ne vous seriez pas décidé si je vous en avais prié.

— Un pareil reproche, répondit le Comte en souriant, est un compliment très-flatteur ; mais revenons au premier mari de Charlotte. Je n’ai jamais pu l’aimer parce qu’il a séparé un beau couple prédestiné à sortir victorieux des deux premières épreuves de cinq années, pour conclure hardiment la troisième et irrévocable union.

— Nous essaierons du moins, dit Charlotte, de regagner le temps que nous avons perdu.