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son pèlerin, qu’elle veuille bien m’aider à accomplir ce voyage. Isengrin a quatre fameux souliers ; ne serait-il pas raisonnable qu’il m’en cédât une paire pour ma route ? Madame, faites-les-moi donner par le roi. Girmonde pourrait bien se passer aussi d’une paire des siens, car une femme de ménage reste presque toujours à la maison. »

La reine trouva cette demande raisonnable : « Ils peuvent effectivement se passer chacun d’une paire de souliers », dit-elle gracieusement. Reinecke la remercia et dit en s’inclinant avec joie : « Avec ces quatre souliers, je ne resterai pas en chemin. Tout ce que j’accomplirai de bonnes actions en qualité de pèlerin, vous en prendrez votre part, vous et mon gracieux souverain. Nous sommes astreints à prier pendant tout le pèlerinage pour tous ceux qui nous sont venus en aide. Dieu vous récompense de votre bonté ! » Ainsi, Isengrin perdit les souliers de ses pattes de devant, et sa femme Girmonde dut fournir ceux des pattes de derrière. Tous deux y perdirent la peau et les griffes de leurs pattes ; couchés misérablement près de Brun, ils croyaient toucher à leur dernière heure, tandis que l’hypocrite avait su gagner des souliers et une besace. Il alla près d’eux et railla encore la louve par-dessus le marché : « Chère amie, lui dit-il, voyez donc comme vos souliers me vont bien ! j’espère qu’ils dureront ; vous vous êtes donné bien de la peine pour me perdre, mais j’en ai pris autant pour me défendre ; j’ai réussi. Si vous vous êtes réjouie, c’est à mon tour maintenant ; c’est le train du monde, il faut savoir s’y faire. Dans mon voyage, je songerai tous les jours avec reconnaissance à mes chers parents : vous avez eu la complaisance de me donner ces souliers, vous n’aurez pas à vous en repentir ; ce que je gagnerai d’indulgences, je le partagerai avec vous ; je vais les chercher à Rome et par delà la mer. »