avec les mets et les boissons. «Prenez-le, battez-le, percez-le, tuez-le ! » criait le prêtre en fureur. Il tomba et rafraîchit sa colère sur le parquet inondé; car il n’avait pas vu la flaque liquide où il gisait. Tout le monde arriva et cria : « Tue ! tue ! » Je m’enfuis, ayant à mes trousses tous les gens de la maison, qui voulaient me faire un mauvais parti. Celui qui criait le plus, c'était le curé : « Quel fieffé voleur ! il a osé me prendre un chapon sur ma table ! » Et je courais toujours : j’arrivai au garde-manger ; là, je laissai tomber le chapon bien malgré moi, je le trouvais trop lourd à la fin; je m’échappai par le trou, et la foule de mes perscécuteurs me perdit de vue. Ils trouvèrent le chapon, et, en le ramassant, le révérend père aperçut le loup et tout le monde aussi. Le révérend se mit à crier de plus belle : « ici, ici! ne le manquez pas celui-là! Voici un autre voleur, un loup qui nous est tombé dans les mains! S’il s’échappait, ce serait une honte, on se moquerait de nous dans tout le pays de Liège. » Quant au loup, il faisait ce qu’il pouvait. Les coups se mirent à grêler sur lui et à le blesser grièvement. Tous criaient à qui mieux mieux. Les autres paysans accoururent et le laissèrent pour mort sur la place. Il ne se trouva jamais dans une pareille détresse. Si jamais on en fait le sujet d’un tableau, il sera curieux de voir comment il paya le lard et les jambons du curé. Ils le jetèrent sur la route, ils le trainèrent dans les pierres et les broussailles; il ne donnait plus signe de vie. Comme il s’était souillé dans sa détresse, on le jeta avec dégoût hors du village, dans un fossé plein de boue; car on le croyait mort. Il resta sans connaissance, je ne sais combien de temps, avant de revenir à lui-même et au sentiment de sa misère. Je n’ai jamais pu savoir comment il en était réchappé. Après cette aventure (il y a de cela un an), il me jura fidélité à toute épreuve; mais cela ne dura pas longtemps. Car j avais compris facilement la cause de la persistance de son amitié : il aurait bien voulu une bonne fois de la volaille tout son soûl. Pour le tromper
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