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se sentit défaillir. Mais la perte de son œil le rendit furieux, et, malgré ses blessures et ses douleurs, il s'élança contre Reineke, qu'il renversa par terre. Le renard se trouva alors dans une triste situation et toute sa prudence lui était de peu de secours. Isengrin lui prit rapidement entre ses dents une de ses pattes de devant dont il se servait en guise de main. Reineke gisait à terre tristement; il craignait de perdre la main à l'instant même et mille pensées se croisaient dans son esprit, tandis qu'Isengrin lui grognait d'une voix creuse ces paroles: «Brigand! l'heure de ta mort est arrivée! rends-toi à l'instant ou bien je te fais périr pour toutes tes perfidies. Je m'en vais régler ton compte maintenant; cela ne t'aura pas servi à grand'chose d'avoir gratté la poussière, d'avoir mouillé ta queue, d'avoir fait tondre ta fourrure et graissé ton corps. Malheur à toi maintenant! tu m'as fait tant de mal, tu m'as calomnié et éborgné. Mais tu ne m'échapperas pas.»

Reineke se disait: «Me voici dans un bien triste état; que dois-je faire? Si je ne me rends pas, il m'égorge, et, si je me rends, je suis déshonoré à tout jamais. Oui, je mérite cette punition. Car je l'ai trop maltraité, trop grièvement offensé.»

Alors il essaya d'attendrir son adversaire par de belles paroles. «Mon cher oncle, lui dit-il, je deviendrai avec joie à l'instant même votre vassal avec tout ce que je possède. J'irai pour vous en pèlerinage au tombeau sacré dans la terre sainte et dans toutes les églises pour vous en rapporter des indulgences. Elles serviront au salut de votre âme et il en restera encore assez pour faire profiter aussi de ce bénéfice votre père et votre mère dans la vie éternelle; qui est-ce qui n'en a pas besoin? Je vous vénère comme si vous étiez le pape et vous jure, par ce qu'il y a de plus sacré, d'être dorénavant