Page:Goethe - Le Renard, 1861, trad. Grenier.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée

d'injures. Mais nous nous dirigeâmes de nouveau vers l'eau, et nous nous glissâmes dans les roseaux; une fois là, les paysans n'osèrent plus nous poursuivre: car il était nuit. Ils retournèrent chez eux. Nous échappâmes ainsi bien juste. Vous le voyez, sire, trahison, mort et violence, voilà les crimes dont il s'agit, et vous les punirez sévèrement.»

Lorsque le roi eut entendu cette accusation, il dit: «Il en sera fait justice selon la loi; mais écoutons la réponse de Reineke.» Et Reineke parla ainsi: «Si l'histoire était vraie, cette affaire me rapporterait peu d'honneur. Dieu me préserve dans sa miséricorde qu'il en soit comme il le prétend! Cependant, je ne veux pas nier avoir appris à sa femme à prendre des poissons et lui avoir montré le meilleur chemin pour traverser l'étang. Mais elle y mit tant d'avidité, aussitôt qu'elle entendit parler de poisson, qu'elle oublia le chemin, la modération et mes leçons. Si elle est restée prise dans la glace, c'est qu'elle a attendu trop longtemps; car, si elle avait retiré sa queue à temps, elle eût pris assez de poisson pour faire un délicieux repas. Trop d'ambition nuit toujours. Quand le cœur s'habitue à l'intempérance, il se prépare bien des regrets. Celui qui a l'esprit de gloutonnerie ne vit que dans la détresse; personne ne le rassasie. Dame Girmonde l'a éprouvé, lorsqu'elle fut prise dans la glace. Mais elle est peu reconnaissante de tous mes soins. Voilà donc ce que je retire du secours honnête que je lui ai prêté! car je poussai et cherchai de toutes mes forces à la soulever. Mais elle était trop lourde pour moi, et c'est dans cette occupation que me trouva Isengrin, qui passait sur l'autre bord. Il se mit à crier et à jurer si furieusement, que vraiment je fus saisi de peur en entendant cette belle bénédiction; une, deux et trois fois il m'adressa les plus horribles malédictions, et se mit à crier,