Page:Goethe - Le Renard, 1861, trad. Grenier.djvu/158

Cette page n’a pas encore été corrigée

Reineke dit alors: «Les voilà donc tous les deux dans l'état où ils se trouvaient avant le procès et aucun des deux n'a gagné ni perdu; maintenant la justice va se montrer d'elle-même. Car, si l'homme le veut, il peut encore délivrer le serpent; sinon, il n'a qu'à le laisser; quant à lui, il est libre de continuer son chemin et d'aller à ses affaires. Comme le serpent s'est montré ingrat et perfide, l'homme est bien libre dans son choix. Cela me paraît la véritable justice; que celui qui en sait une meilleure nous le dise.» Ce jugement plut alors à tout le monde, à vous, sire, et à vos conseillers; le paysan vous remercia et chacun vanta la sagesse de Reineke, la reine toute la première. On remit bien des choses sur le tapis à ce sujet; on dit qu'Isengrin et Brun convenaient mieux à la guerre; qu'ils étaient craints au loin; qu'ils aimaient à se trouver au pillage; qu'ils étaient grands, forts et vaillants; on ne pouvait pas le nier; mais qu'au conseil ils manquaient souvent de la prudence nécessaire: car ils ont l'habitude de se fier à leur force; une fois en campagne, quand il faut se mettre à l'œuvre, tout cloche furieusement. On ne peut pas être plus vaillant qu'ils ne le sont à la maison: à l'armée, ils aiment beaucoup à rester en embuscade. Quand il s'agit de frapper fort, ils sont aussi bons que d'autres. Les loups et les ours ruinent le pays; peu leur importe à qui est la maison que la flamme dévore, pourvu qu'ils se chauffent au brasier; ils ne prennent pitié de personne, pourvu que leurs gosiers se remplissent. Ils avalent les œufs et en laissent les coquilles aux pauvres diables, et ils croient avoir partagé en honnêtes gens. Reineke, au contraire, est sage et de bon conseil, ainsi que toute sa famille, et, s'il a péché, sire, c'est qu'il est de chair et d'os. Mais jamais un autre ne vous conseillera aussi bien. Pardonnez-lui donc, je vous en prie.»

Le roi lui répondit: «Cela mérite réflexion. L'affaire se passa comme vous venez de le raconter,