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a mis sous nos yeux un effet sensible : il nous en montre aussi la cause sensible. Le point de la morsure détermine, je le répète, les mouvements actuels des membres, la fuite des parties inférieures, la contraction du ventre, la saillie de la poitrine, l’abaissement des épaules et de la tête ; je vois même tous les traits du visage déterminés par cette atteinte momentanée, douloureuse, inattendue.

Mais je suis loin de briser l’unité de la nature humaine, de nier le concours des forces intellectuelles de cet homme aux formes admirables, de méconnaître les efforts et les douleurs d’une grande nature. L’angoisse, la peur, l’effroi, l’amour paternel, me semblent circuler aussi dans ces veines, monter dans cette poitrine, sillonner ce front. Je me plais à reconnaître que la souffrance morale est exprimée au plus haut degré avec la souffrance physique : toutefois il ne faut pas reporter trop vivement sur l’ouvrage même l’effet qu’il produit sur nous ; que surtout on ne voie pas un effet du poison dans un corps que saisissent en cet instant même les dents du serpent ; qu’on ne voie aucune agonie dans un corps superbe, résistant, sain, à peine blessé. Qu’on me permette ici une observation importante pour l’art plastique : la plus haute expression pathétique qu’il puisse présenter se déploie sur le passage d’un état à un autre. Qu’on voie un enfant vif, qui court, saute et se divertit avec toute l’énergie et le plaisir de la vie, et qui est soudain frappé rudement par un camarade, ou qui éprouve une atteinte violente, physique ou morale, cette nouvelle sensation se communique à tous les membres comme une décharge électrique, et ce brusque passage est pathétique au plus- haut point : c’est une opposition dont on n’a aucune idée sans expérience. Là, l’homme moral agit manifestement aussi bien que l’homme physique. Si dans une pareille transition la trace distincte de l’état précédent subsiste encore, il en résulte le plus mag ; ifique sujet pour l’art plastique, comme c’est le cas dans le Laocoon, où la lutte et la souffrance sont réunies dans un même instant. C’est ainsi, par exemple, qu’Eurydice, mordue au talon par un serpent qu’elle a foulé au moment où elle traverse gaiement la prairie en portant ses fleurs, ferait une statue trèspathétique, si l’on savait exprimer non-seulement par les fleurs