Si l’art en vient à la passion prononcée, il peut procéder de même : ou bien il nous présente un cercle de figures qui ont entre elles une relation passionnée, comme Niobé avec ses enfants, poursuivie par Apollon et Diane, où-bien elle nous monfre dans un seul ouvrage le mouvement en même temps que sa cause. Nous ne rappellerons ici que le gracieux enfant qui se tire une épine du pied, le Lutteur, deux groupes de Faunes et de Nymphes à Dresde, et le groupe mouvementé et magnifique du Laocoon.
On estime si haut la sculpture, et à bon droit, parce qu’elle peut et qu’elle doit porter la représentation à son plus haut degré, parce qu’elle dépouille l’homme de tout ce qui ne lui est pas essentiel. Aussi, dans ce groupe, le Laocoon n’est-il qu’un nom : les artistes l’ont dépouillé de son sacerdoce, de sa nationalité troyenne, de tout accessoire poétique et mythologique ; il n’est rien de tout ce que la fable fait de lui : c’est un père avec ses deux fils, en danger de succomber sous les attaques de deux serpents. Il n’y a point là non plus de serpents envoyés des dieux, mais seulement des serpents naturels, assez puissants pour vaincre quelques hommes ; mais, ni dans leur figure ni dans leur action, n’apparaissent des êtres extraordinaires, vengeurs et punisseurs. Selon leur nature, ils s’avancent en rampant, ils entourent, ils enlacent, et l’un d’eux mord parce qu’il est provoqué. Si je n’avais sur ce groupe aucune’indication particulière, je l’appellerais une idylle tragique. Un père dormait avec ses deux fils ; ils ont été enlacés par des serpents, et, au réveil, ils s’efforcent de s’arracher à ce réseau vivant.
Cet ouvrage est extrêmement remarquable par le choix du moment. Si une œuvre plastique doit se mouvoir réellement devant nos yeux, il faut choisir un moment de transition. Il faut qu’un instant plus tôt, aucune partie de l’ensemble n’ait dû se trouver dans cette position, et qu’un instant après, chaque partie soit forcée de la quitter. Par là l’ouvrage paraîtra toujours vivant et nouveau à mille et mille spectateurs.
Pour bien saisir l’intention du Laocoon, qu’on se place à une distance convenable les yeux fermés ; qu’on les ouvre’et qu’on les referme aussitôt, et l’on verra tout le marbre en mouvement, et l’on craindra de retrouver tout le groupe changé quand