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ries, du vin de liqueur, enfin ce qu’il y avait de mieux, et il passa dans sa chambre, entouré déjà d’une foule d’importuns, de solliciteurs et de suppliants.

Nous fîmes alors une excellente collation. Nous regrettions notre bon père, qui ne voulait pas en prendre sa part, et nous pressâmes notre mère de l’appeler ; mais, plus sage que nous, elle savait bien à quel point de pareils dons lui seraient odieux. Cependant elle avait préparé un petit souper, et lui en aurait volontiers envoyé une portion dans sa chambre ; mais il ne souffrait jamais ce désordre, même dans les cas extraordinaires ; et, après qu’on eut mis à part les doux présents, on chercha à le persuader de descendre à la salle à manger. Enfin il céda, mais à contre-cœur, et nous ne soupçonnions pas le mal que nous allions faire à toute la famille. Du haut en bas, l’escalier passait devant toutes les antichambres ; mon père, en descendant, devait passer immédiatement devant la chambre du comte : l’antichambre était si pleine de monde, que M. de Thorane voulut, pour expédier plusieurs affaires à la fois, sortir de son appartement, et, par malheur, ce fut dans le moment où notre père descendait. Le comte alla gaiement à sa rencontre, le salua et lui dit : « Vous féliciterez vos hôtes et vous-même de ce que cette dangereuse affaire est si heureusement terminée. — Nullement, répliqua mon père avec courroux ; je voudrais qu’ils vous eussent envoyé au diable, quand j’aurais dû faire le voyage avec vous. » Le comte s’arrêta un moment, puis il entra en courroux : « Vous le payerez ! s’écria-t-il ; vous n’aurez pas fait impunément un pareil affront à la bonne cause et à moi. »

Cependant mon père était descendu tranquillement. Il s’assit auprès de nous. Il paraissait plus gai qu’auparavant et se mit à manger. Nous en étions charmés, et nous ne savions pas de quelle manière hasardeuse il s’était soulagé le cœur. Bientôt après, on pria ma mère de sortir, et les petits bavards avaient grande envie de conter à leur père comme M. de Thorane les avait régalés. Notre mère ne revenait pas. Enfin l’interprète parut. Sur un signe qu’il fit, on nous envoya coucher. Il était déjà tard, et nous obéîmes volontiers. Après une nuit de paisible sommeil, nous apprîmes quel violent orage avait ébranlé