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vouloir cependant faire de mal à ses adversaires : tout s’était fait uniquement pour l’honneur. Il avait su toujours désarmer son homme, et puis l’épargner. Il était même si adroit à faire sauter le fer, qu’il s’était vu un jour dans un grand embarras, parce qu’il avait lancé sur un arbre l’épée de son adversaire, en sorte qu’il n’avait pas été facile de la rattraper.

Ce qui facilitait beaucoup mes visites au théâtre, c’est que ma carte d’entrée, me venant des mains du maire, m’ouvrait toutes les places et, par conséquent aussi la loge d’avant-scène. Elle était très-profonde, à la manière française, et, des deux côtés, garnie de sièges, qui, séparés par une barrière basse, s’élevaient en plusieurs rangs les uns derrière les autres, de telle sorte que les premiers sièges n’étaient que peu élevés au-dessus de la scène. Tout l’ensemble était considéré comme des places d’honneur ; elles n’étaient d’ordinaire occupées que par des officiers, et pourtant le voisinage des acteurs ôtait, je ne veux pas dire toute illusion, mais, en quelque sorte, tout plaisir. J’ai pu voir encore de mes yeux cet usage, ou cet abus, dont Voltaire se plaint si fort. Quand la salle était pleine, et que peut-être, en temps de passage de troupes, des officiers de distinction demandaient ces places d’honneur, qui d’ordinaire étaient déjà occupées, on établissait encore quelques rangées de bancs et de sièges, en avant de la loge, sur la scène même, et il ne restait plus aux héros et aux héroïnes qu’à se dévoiler leurs secrets dans un étroit espace, au milieu des uniformes chamarrés de croix. J’ai vu représenter dans ces conditions Hypermnestre elle-même.

Le rideau ne tombait pas dans les entr’actes, et je me souviens encore d’un singulier usage, que je devais trouver bien choquant, tout ce qu’il avait de contraire à l’art devant m’être absolument insupportable, à moi, honnête enfant de l’Allemagne. En effet le théâtre était considéré comme le plus inviolable sanctuaire, et tout désordre qui s’y passait devait être puni sur-le-champ comme le plus grand crime envers la majesté du public. Aussi, dans toutes les comédies, deux grenadiers, l’arme au pied, étaient-ils de faction, à la vue de tout le public, aux deux côtés de la toile du fond, et ils étaient témoins de tout ce qui se passait dans l’intérieur de la famille. Et, comme