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désignée. Sa joie fut égale à son étonnement. Il ne put être question de persuader et de délibérer ; il me souhaita un bon voyage en Italie ; nous nous séparâmes, et, le lendemain, je me vis de bonne heure sur la Bergstrasse.

J’avais plusieurs motifs pour me rendre à Heidelberg ; j’en avais un raisonnable : j’avais appris que l’ami de Weimar passerait par Heidelberg en venant de Carlsruhe ; et, aussitôt que je fus arrivé à la poste, je donnai un billet, qu’on devait remettre en main propre à un cavalier qui voyageait de telle et telle manière, que je désignai. Mon autre motif était de sentiment, et se rapportait à mes relations antérieures avec Lili Mlle Delf, qui avait été la confidente de notre amour, et même, auprès de nos parents, l’intermédiaire d’un engagement sérieux, demeurait dans cette ville, et je regardais comme un grand bonheur de pouvoir, avant de quitter l’Allemagne, causer encore de ces temps heureux avec une bonne et indulgente amie.

Je fus bien reçu et introduit dans plusieurs familles ; je me plus surtout dans la maison du grand maître des eaux et forêts, M. de W. Les parents étaient pleins de politesse et d’agrément ; une de leurs filles ressemblait à Frédérique. C’était le moment de la vendange ; le temps était beau, et tous les sentiments alsaciens se réveillèrent en moi dans la belle vallée du Rhin et du Necker. J’avais fait alors sur d’autres et sur moi d’étranges expériences, mais tout était encore à naître ; il ne s’était encore produit en moi aucun résultat de la vie, et l’infini, que j’avais entrevu, ne faisait que me troubler. Dans le monde, j’étais encore comme auparavant, peut-être même plus empressé et plus agréable. Sous ce beau ciel, dans une société joyeuse, je recherchai les anciens jeux, qui restent toujours nouveaux et charmants pour la jeunesse. Toujours occupé d’un amour, qui n’était pas encore éteint, j’éveillai la sympathie sans le vouloir, lors même que je taisais l’état de mon âme, et je me trouvai bientôt familier et même nécessaire dans cette société : j’oubliais que mon plan avait été de passer deux ou trois soirées à babiller et de continuer mon voyage.

Mlle Delf était une de ces personnes qui, sans être précisément intrigantes, ont toujours une affaire, veulent occuper les