Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon père avec tant de vivacité ce qu’on pouvait faire, ce que je voulais faire de cela, qu’il éprouvait un désir invincible de voir sur le papier, de voir imprimée et admirée, cette pièce, achevée dans ma tête. »

Dans le temps où j’espérais encore posséder Lili, j’avais tourné toute mon activité vers l’étude et la pratique des affaires civiles : maintenant une heureuse coïncidence voulut que j’eusse à remplir par un travail où se répandaient mon esprit et mon âme l’affreux abîme qui me séparait d’elle. Je commençai donc en effet à écrire Egmont, mais non pas de suite comme Gœtz de Berlichingen : après avoir achevé l’introduction, j’attaquai la scène principale, sans m’inquiéter des liaisons qui seraient nécessaires. Avec cela, j’avançai à grands pas, car, dans ma manière nonchalante de travailler, je fus, sans exagérer, éperonné jour et nuit par mon père, qui s’attendait à voir aisément achevé un travail conçu si aisément.




LIVRE XX.


Je continuai donc de travailler à Egmont, et, si l’état violent où je me trouvais en reçut quelque apaisement, la présence d’un artiste de mérite m’aida aussi à passer bien des heures pénibles ; et, cette fois encore, comme cela m’était arrivé souvent, je dus à la poursuite incertaine d’un perfectionnement pratique une secrète paix de l’âme que je n’aurais pu espérer autrement. George-Melchior Kraus, né à Francfort, formé à Paris, revenait justement d’un petit voyage dans le nord de l’Allemagne ; il me rechercha, et je sentis aussitôt le désir et le besoin de me lier avec lui. C’était un joyeux compagnon, dont le talent agréable et facile avait trouvé à Paris l’école qui lui convenait. Paris offrait dans ce temps-là aux Allemands d’agréables ressources. Philippe Hackert y vivait en bon renom et dans l’aisance. La naïve manière allemande avec laquelle il exécutait heureusement, à la gouache ou à l’huile, le paysage d’après nature,