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peut seule expliquer ; ils sont rédigés dans un langage de coterie, qu’il faut connaître pour être juste envers lui : autrement le lecteur intelligent y trouvera bien des choses dépourvues de raison et de goût, ce qu’on lui a suffisamment reproché de son vivant et après sa mort. Nous lui avions, par exemple, échauffé tellement la tête avec nos idées dramatiques, en ne présentant jamais que sous cette forme tout ce qui survenait, et n’en admettant aucune autre, qu’il sentit l’aiguillon, et s’efforça de montrer dans son Ponce Pilate que la Bible est le plus dramatique des livres, et, particulièrement, que la Passion est le drame des drames.

Dans ce chapitre de son opuscule, et, en général, dans tout le livre, Lavater paraît très-semblable au P. Abraham de Sainte-Claire, car tout homme d’esprit, qui veut agir sur le moment, doit tomber dans cette manière : il doit s’informer des tendances, des passions, de la langue et de la terminologie actuelles, pour les faire ensuite servir à son but et se rapprocher de la masse, qu’il veut attirer à lui.

Comme il recevait Jésus-Christ à la lettre, tel que l’Écriture, tel que plusieurs interprètes le donnent, cette idée lui servait à tel point de supplément pour sa propre existence, qu’il incarna idéalement l’Homme-Dieu à sa propre humanité, jusqu’à ce qu’il les eût réellement confondus en un seul être, qu’il se fût unifié avec lui, ou qu’il s’imaginât qu’il était lui-même le Christ.

Cette ferme croyance à la lettre de la Bible dut le conduire aussi à la pleine conviction qu’on peut faire des miracles aujourd’hui tout aussi bien qu’autrefois ; et, comme il avait réussi parfaitement, dans des occasions importantes et pressantes, à obtenir instantanément, par de ferventes et même de véhémentes prières, l’issue favorable d’accidents très-menaçants, les objections de la froide raison ne l’ébranlaient pas le moins du monde. Pénétré, en outre, de la grande valeur de l’humanité, régénérée par Jésus-Christ et destinée à une heureuse éternité, mais connaissant aussi les besoins divers de l’esprit et du cœur, l’immense désir de savoir, sentant lui-même s’étendre à l’infini ce désir auquel nous convie en quelque sorte sensiblement le ciel étoilé, il esquissa ses Perspectives sur l’éternité, qui durent toutefois sembler fort étranges à la plupart de ses contemporains.

Mais tous ces efforts, ces désirs, ces entreprises, pesèrent moins dans la balance que le génie physiognomonique dont l’avait doué la nature. En effet, comme la pierre de touche est particulièrement appropriée par sa noirceur et par la nature à la fois rude et polie de sa surface à indiquer la différence des métaux frottés : grâce à l’idée pure de l’humanité, qu’il portait en lui, à la vivacité et à la délicatesse du talent d’observation, qu’il exerça d’abord par instinct d’une manière superficielle et accidentelle, puis, avec réflexion, d’une façon méditée et réglée, Lavater était au plus haut degré en mesure d’apercevoir, de connaître, de distinguer et même d’exprimer les traits caractéristiques des individus. Tous les talents qui reposent sur une disposition naturelle décidée nous semblent avoir quelque chose de magique, parce que nous ne pouvons subordonner à une idée ni ce talent ni ses effets. Et véritablement la pénétration de Lavater à l’égard des individus passait toute idée ; on s’étonnait, à