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à la paroi, et qui rappelaient plutôt des tablettes que de véritables lits. Je me levai de bonne heure et me trouvai bientôt sous le ciel ouvert, mais dans un espace étroit, environné de hautes cimes. J’avais descendu le sentier qui mène en Italie, et je dessinais, à la manière des amateurs, ce qu’on ne saurait dessiner et ce qui pourrait moins encore faire un tableau, les cimes prochaines, avec leurs flancs, où la neige fondante laissait voir de blancs sillons et de noires arêtes. Cependant ces efforts infructueux ont gravé ce spectacle d’une manière ineffaçable dans ma mémoire. Mon compagnon arriva gaiement et me dit : « Que penses-tu du récit que notre hôte nous a fait hier au soir ? N’as-tu pas pris envie, comme moi, de quitter ce repaire de dragons pour nous rendre dans ces ravissantes contrées ? La descente à travers ces gorges doit être admirable et facile, et quand le pays s’ouvrira auprès de Bellinzone, quel sera notre enchantement ! Les discours du père m’ont rappelé vivement les îles du Lac Majeur. On a vu et entendu sur ce sujet tant de choses depuis les voyages de Keyssler, que je ne puis résister à la tentation. N’est-ce pas aussi ton sentiment ? poursuivit-il. Te voilà justement assis à la bonne place. Je m’y suis déjà trouvé une fois et je n’ai pas eu le courage de descendre. Prends les devants sans autre façon. Tu m’attendras à Airolo ; je te suivrai avec le messager, après avoir pris congé du bon père et réglé tout. — Si soudainement, une telle entreprise ! Cela ne me plaît guère, lui répondis-je. — À quoi bon tant réfléchir ? Nous avons assez d’argent pour aller jusqu’à Milan. Nous trouverons du crédit. Nous y connaissons, par nos foires, plus d’un négociant. » Il me pressait toujours davantage. « Va, lui dis-je, arrange tout pour le départ. Nous déciderons ensuite. »

Il me semble qu’en de pareils moments l’homme ne sent en lui aucune résolution, mais qu’il est conduit et déterminé par des impressions antérieures. La Lombardie et l’Italie étaient devant moi comme une chose tout à fait étrangère ; l’Allemagne, comme une chose connue, aimable, pleine de perspectives gracieuses et familières. Et il faut que je l’avoue, ce qui m’avait si longtemps possédé tout entier, ce qui avait nourri ma vie, était encore l’élément indispensable hors des limites duquel je