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Le 16 juillet 1775 (c’est la première date que je trouve consignée dans mes notes), nous entreprîmes une course pénible ; il s’agissait de franchir des montagnes rocheuses, et cela dans une complète solitude. Le soir, à sept heures et trois quarts, nous étions vis-à-vis du Hacken. Ce sont deux sommets, qui se dressent fièrement l’un à côté de l’autre. Pour la première fois dans notre voyage, nous trouvâmes de la neige encore persistante sur ces crêtes dentelées. Une antique forêt de pins, sévère et sombre, remplissait les vastes ravins dans lesquels nous devions descendre. Après avoir fait une courte halte, nous dégringolâmes gaiement et vivement, de rocher en rocher, de saillie en saillie, le sentier qui se précipite dans la profondeur, et nous arrivâmes à dix heures à Schwitz. Nous étions à la fois las et joyeux, brisés et gaillards. Nous apaisâmes au plus tôt notre soif ardente, et nous n’en fûmes que plus animés. Qu’on se figure le jeune homme qui avait écrit Werther, environ deux années auparavant, et un ami de son âge, qui s’était déjà échauffé l’imagination sur le manuscrit de ce singulier ouvrage, transportés tous deux, sans le savoir et le vouloir, dans une sorte d’état de nature, se rappelant vivement leurs amours passées, occupés des amours présentes, forgeant des plans sans suite, parcourant avec ivresse, dans le joyeux sentiment de leur force, le royaume de la fantaisie, et l’on se fera quelque idée de cet état, que je ne saurais peindre, si je ne trouvais ces mots dans mon journal : « Le rire et l’allégresse ont duré jusqu’à minuit. » Le 17, au matin, nous vîmes le Hacken devant nos fenêtres. Les nuages montaient à la file vers ces énormes pyramides irrégulières. À une heure après midi, nous quittâmes Schwitz pour aller au Rigi. À deux heures, sur le lac de Lowertz, soleil magnifique. Plongé dans l’extase, on ne voyait rien. Deux robustes jeunes filles menaient la barque. C’était agréable, et nous en prîmes fort bien notre parti. Nous abordâmes dans l’île, où les gens disent que l’ancien tyran avait habité. Quoi qu’il en soit, la cabane de l’ermite s’est nichée entre les ruines. Nous montâmes le Rigi. À sept heures et demie, nous étions à Notre-Dame des Neiges, puis à la chapelle, et, après avoir passé devant le cloître, nous arrivâmes à l’auberge du Bœuf.

Le dimanche, 18, dessiné, le matin, la chapelle, prise de l’au-