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mesurés de la rame, et les montagnes nuageuses, sublimes, viennent au-devant de notre course.

« Ô mes yeux, pourquoi vous baisser ? Rêves dorés, revenez-vous ? Rêves, fuyez, tout brillants que vous êtesl Dans ces lieux aussi sont l’amour et la vie.

« Sur les vagues scintillent mille étoiles flottantes ; de légères vapeurs abreuvent à la ronde les cimes lointaines : le vent matinal voltige autour de la rive ombreuse, et dans le lac se reflète la moisson jaunissante[1].

Nous abordâmes à Richtenschwyl, où nous étions recommandés par Lavater au docteur Hotze, qui, en sa qualité de médecin et d’homme bienveillant et sage, jouissait d’une respectueuse estime dans son endroit et dans toute la contrée. Nous ne croyons pouvoir mieux honorer sa mémoire qu’en renvoyant le lecteur à un passage de la Physiognomonie où Lavater le désigne. Il nous fit le meilleur accueil, nous entretint de la manière la plus agréable et la plus utile sur les premières stations de notre pèlerinage ; après quoi, nous gravîmes les montagnes prochaines. Avant de descendre dans la vallée de Schindeleggi, nous nous retournâmes encore une fois, pour graver dans notre mémoire la vue ravissante du lac de Zurich. Ce que j’éprouvais, on le devine par les lignes suivantes, que j’écrivis alors et que je retrouve dans un petit album :

« Chère Lili, si je ne t’aimais pas, quelle volupté je goûterais à ce spectacle ! Et pourtant, Lili, si je ne t’aimais pas, que serait, que serait mon bonheur[2] ? »

Je trouve ici cette petite exclamation plus expressive que sous la forme qu’elle a reçue dans le recueil imprimé.

Les chemins raboteux qui nous menèrent de là à Einsiedlen ne purent nous décourager. De nombreux pèlerins, que nous avions déjà remarqués au bord du lac, et qui avançaient d’un pas régulier, avec des chants et des prières, finirent par nous atteindre. Nous les saluâmes et nous les laissâmes passer. En éveillant chez nous la sympathie pour leur pieux dessein, ils vivifièrent d’une manière agréable et caractéristique ces hauteurs solitaires. Nous vîmes s’animer le sentier sinueux que

  1. Tome 1, page 31
  2. Tome I, page 31 ; avec une variante.