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former un volume, où leur objet, appuyé sur une doctrine, confirmé par des exemples, devait s’élever à la dignité d’une science, aucun tableau ne disait ce qu’il avait à dire, toutes les planches étaient critiquées, expliquées, non pas louées mais seulement acceptées, plusieurs même étaient abolies par les commentaires. C’était pour moi, qui n’avançais jamais le pied sans chercher d’abord à l’assurer, une des missions les plus pénibles qu’il fût possible d’imposer à mon activité. Qu’on veuille en juger ! Le manuscrit m’arriva à Francfort, avec les gravures intercalées dans le texte. J’avais le droit d’effacer ce qui me déplairait, de changer et d’insérer ce que je croirais convenable. Je fis de cette permission un usage très-modéré. Une seule fois, je retranchai une controverse très-vive, jetée en passant contre, une injuste critique, et j’y substituai une poésie gaie et naturelle. Lavater m’en fit des reproches, mais, plus tard, lorsqu’il fut apaisé, il approuva ce que j’avais fait.

Toute personne qui feuillettera les quatre volumes de la Physiognomonie et qui voudra les parcourir (ce qui ne lui laissera pas de regret) pourra juger quel intérêt eut notre entrevue. La plupart des sujets qui figurent dans l’ouvrage étaient déjà dessinés et une partie gravés ; ils furent examinés et jugés, et l’on délibéra sur les moyens ingénieux par lesquels l’insuffisant pourrait être ici rendu instructif et par conséquent suffisant. Si quelquefois encore je parcours l’ouvrage de Lavater, il produit sur moi une impression riante et comique : il me semble voir passer les ombres d’hommes que j’ai bien connus autrefois, qui m’ont fâché en d’autres temps, et qui ne devraient pas m’égayer aujourd’hui.

Ce qui permit de donner une certaine harmonie à tant de figures mal exécutées, ce fut le beau et sérieux talent du dessinateur et graveur Lips ; la nature lui avait donné en effet la libre et prosaïque expression de la réalité, qui était ici l’essentiel. Il travaillait sous le physiognomoniste, qui avait de singulières exigences, et il lui fallait une attention bien vive pour approcher de ce que désirait son maître. Cet ingénieux villageois sentait tout ce qu’il devait à un digne ecclésiastique, bourgeois de la ville privilégiée, et il travaillait avec le plus grand soin.

Comme je ne logeais pas sous le même toit que mes compa-