Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/625

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une plaine sablonneuse, doit avoir dans son voisinage un étang, dont je n’ai entendu parler qu’à cette occasion. Nos amis, de bouillante nature, et qui s’échauffaient toujours davantage, cherchèrent du rafraîchissement dans ce vivier. Voir, à la clarté du soleil, des jeunes gens nus pouvait bien, dans cette contrée, sembler quelque chose de singulier. Quoi qu’il en soit, il y eut du scandale. Merck aggrava ses conclusions, et j’avoue que je pressai notre départ.

Sur le chemin de Mannheim, on vit déjà paraître, malgré l’harmonie de nobles et bons sentiments, une certaine différence dans les vues et la conduite. Léopold Stolberg déclara avec chaleur qu’il avait été contraint de rompre un commerce d’amour avec une belle Anglaise, et que c’était la cause qui lui faisait entreprendre un si grand voyage. Cependant, si on lui découvrait à son tour avec sympathie qu’on n’était pas non plus étranger à de pareils sentiments, il s’écriait, avec une impétueuse ardeur de jeunesse, que rien au monde ne se pouvait comparer à sa passion, à sa douleur, comme à la beauté et aux charmes de sa bien-aimée. Voulait-on, comme il convient entre bons camarades, réduire à une juste mesure, par des discours modérés, une assertion pareille, la chose ne faisait que s’empirer, et le comte de Haugwitz et moi nous devions nous résoudre à laisser tomber ce thème. Arrivés à Mannheim, nous nous logeâmes fort bien, dans une décente auberge, et, au dessert du premier dîner, où le vin n’avait pas été épargné, Léopold nous invita à boire à la santé de sa belle, ce que nous fîmes avec assez de vacarme. Quand les verres furent vides, il s’écria : « À présent, il n’est plus permis de boire dans ces verres consacrés ! Une seconde santé serait une profanation ! Qu’on les brise ! » Et, en disant ces mots, il jeta derrière lui son verre à pied contre la muraille. Nous en fîmes autant, et il me sembla que je sentais Merck me tirer par le collet. Mais la jeunesse conserve ce trait de l’enfance, qu’elle ne garde rancune de rien à de bons camarades, et que sa bienveillance naïve, qui peut être sans doute affectée désagréablement, ne saurait être offensée.

Après que les verres, désormais déclarés anglais, eurent augmenté notre écot, nous courûmes gaiement à Carlsruhe, pour