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qu’on essuie à la limite de deux catégories déterminées soient exprimés avec impatience, on le pardonnait en considération des autres emportements de l’ouvrage, car chacun sentait bien qu’on n’avait ici en vue aucune action immédiate. Mais Gœtz de Berlichingen me posait très-bien vis-à-vis des hautes classes. Si le goût littéraire qui avait régné jusqu’alors s’y trouvait blessé, on y voyait représentés, d’une manière savante et vigoureuse, l’état de la vieille Allemagne, l’inviolable empereur à sa tête, avec des personnages de conditions diverses, et un chevalier qui, au milieu de l’anarchie générale, se proposait d’agir, sinon légalement, du moins justement, et tombait ainsi dans une situation très-fâcheuse. Et cet ensemble n’était pas pris en l’air ; il était plein d’une agréable vie, et par conséquent aussi un peu moderne ça et là, mais pourtant toujours exposé dans l’esprit avec lequel le digne et vaillant homme s’était représenté lui-même, et sans doute avec quelque faveur, dans son propre récit. La famille florissait encore ; ses rapports avec la noblesse de Franconie s’étaient conservés dans leur intégrité, quoique ces rapports, comme bien d’autres choses de ce vieux temps, fussent devenus moins vivants et moins efficaces. Tout à coup la petite rivière de la Jaxt et le château de Jaxthausen avaient pris une valeur poétique ; on les visitait, ainsi que l’hôtel de ville de Heilbronn. On savait que j’avais porté ma pensée sur plusieurs autres points de l’histoire de ce temps-là, et plus d’une famille, qui remontait incontestablement à cette époque, avait la perspective de voir en quelque sorte ressusciter son ancêtre.

Il se produit chez un peuple un sentiment de satisfaction universelle, quand on lui rappelle d’une manière ingénieuse son histoire ; il prend plaisir aux vertus de ses ancêtres et sourit de leurs défauts, dont il se croit dès longtemps corrigé : la sympathie et l’approbation ne sauraient donc manquer à une œuvre pareille, et je pus, dans ce sens, me féliciter des effets divers que la mienne produisit. Il est toutefois remarquable que, parmi les nombreuses liaisons, et dans la foule des jeunes gens qui vinrent à moi, il ne se trouva pas un gentilhomme. En revanche, plusieurs hommes qui avaient passé la trentaine me recherchèrent, me visitèrent, et, dans leur vo-