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nard (je lui donne tout de suite son titre de famille) habitait la plus grande ; de vastes fabriques y touchaient ; d’Orville, jeune homme vif, aimable et original, demeurait vis-à-vis. Des jardins attenants, des terrasses prolongées jusqu’au Mein, permettant de toutes parts une libre sortie sur de gracieux environs, offraient aux arrivants, aux hôtes, d’admirables jouissances. Un amant ne pouvait trouver, pour entretenir ses sentiments, un plus souhaitable séjour.

Je demeurais chez Jean André, et, puisque je dois nommer ci cet homme, qui s’est fait assez connaître dans la suite, je me permettrai une petite digression, pour donner quelque idée de l’opéra d’alors. Marchand était à cette époque le directeur du théâtre de Francfort, et il s’employait lui-même de son mieux. C’était un bel homme, grand et bien fait et à la fleur de l’âge. Chez lui dominaient la nonchalance et la mollesse, et sa personne était assez agréable sur la scène. Il avait assez de voix pour chanter la musique d’alors : aussi prenait-il soin d’arranger pour la scène allemande les grands et les petits opéras français. Il jouait particulièrement bien le père dans Zémire et Azor de Grétry ; il avait une pantomime très-expressive dans la vision disposée derrière le voile. Cependant cet opéra, bien réussi dans son genre, s’approchait du style noble, et il était fait pour éveiller les plus tendres sentiments. En revanche, un démon réaliste s’était emparé de l’opéra ; les opéras de professions et de métiers se produisaient. Les Chasseurs, le Tonnelier, et que sais-je encore, avaient pris les devants. André se choisit le Potier. Il avait composé lui-même les paroles, et il avait déployé sur ce texte tout son talent musical. J’étais logé chez lui. Je ne dirai ici que le nécessaire sur ce poète et compositeur toujours prêt. C’était un homme d’un talent vif et naturel, fixé à Offenbach comme industriel et fabricant. Il flottait entre le maître de chapelle et le dilettante. Dans l’espérance d’atteindre au mérite de maître, il faisait de sérieux efforts pour acquérir une solide science musicale ; comme dilettante, il était disposé à répéter sans fin ses compositions.

Parmi les personnes qui se montraient les plus actives pour occuper et animer la société, il faut nommer le pasteur Ewald, qui, spirituel et gai dans le monde, savait poursuivre en silence