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sion, je me rappelai que les juifs de Berlin, quand ils se mariaient, étaient obligés d’acheter une certaine quantité de porcelaines, afin que la fabrique royale eût un débit assuré. Le mépris que m’inspira cet impudent contrefacteur me rendit supportable le chagrin que ce vol devait me faire éprouver. Je ne lui répondis point, et, tandis qu’il usait de mon bien à sa fantaisie, je me vengeais en silence par ces vers : « Gracieux témoins de ma vie bercée dans les rêves les plus doux, fleurs fanées, boucles de cheveux emportées par le vent, voiles, rubans froissés et flétris, tristes gages d’un amour évanoui, déjà dévoués aux flammes de mon foyer, l’impudent Sosie vous ramasse, comme si l’œuvre poétique et la gloire lui étaient dévolues par héritage, et l’on veut que, moi vivant, assis auprès de la table à thé et à café, je souffre tranquillement sa conduite ? Arrière les porcelaines ! arrière les sucreries ! Pour Himbourg et ses pareils, je suis mort ! »

Cependant, comme la disposition naturelle qui me faisait produire spontanément de ces poésies plus ou moins étendues, était quelquefois sujette à de longues pauses, et que, durant des intervalles considérables, j’étais, même en le voulant, incapable de rien produire ; que j’en éprouvais assez souvent de l’ennui : dans ce pénible combat, l’idée me vint que je devrais peut-être employer à l’avantage des autres et au mien ce qu’il y avait en moi d’humanité, de raison et d’intelligence, et de vouer, comme je l’avais déjà fait, comme j’y serais toujours plus appelé, les temps intermédiaires aux affaires du monde, en sorte qu’aucune de mes facultés ne serait laissée sans emploi. Je trouvai ce projet, qui semblait découler de ces idées générales, si bien d’accord avec mon caractère, avec ma situation, que je résolus d’agir de la sorte et de fixer par là mes incertitudes et mes irrésolutions précédentes. Il m’était très-agréable de penser que je pourrais demander aux hommes, pour des services réels, une récompense effective, et continuer de dispenser gratuitement, comme une chose sainte, cet aimable don de la nature. Par cette réflexion, je me préservai de l’aigreur qui aurait pu naître chez moi, quand je dus observer que ce talent, si recherché et si admiré en Allemagne, était traité comme proscrit et hors la loi. Car ce n’était pas seulement à