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amante, cela nous était assez connu ; mais comment deux époux doivent se conduire dans le monde, nous ne le savions pas, et, vu le progrès des années, c’était ce que nous devions apprendre avant tout. Il traça les règles générales, qui consistent, ainsi que chacun sait, à faire comme si l’on ne s’appartenait pas, à ne pas s’asseoir l’un à côté de l’autre, à ne pas parler beaucoup ensemble, bien moins encore à se permettre des caresses ; mais, avec cela, on doit éviter tout ce qui pourrait provoquer de part et d’autre des soupçons et des désagréments ; on mérite, au contraire, les plus grands éloges, lorsque, avec une parfaite aisance, on sait se montrer aimable pour sa femme. Là-dessus on demanda au sort de prononcer, on rit et l’on plaisanta de quelques unions baroques, qu’il lui plut de former, et cette comédie conjugale collective, gaiement commencée, fut renouvelée tous les huit jours.

Un hasard assez singulier voulut que, dès le commencement, la même dame me tombât deux fois en partage. C’était une très-bonne jeune fille, et justement de celles qu’on songerait volontiers à prendre pour femme. Sa taille était belle et régulière, son visage agréable, et il régnait dans ses manières un calme qui annonçait la santé du corps et de l’esprit. Tous les jours et à toutes les heures, elle était parfaitement égale à elle-même. On vantait beaucoup son activité domestique. Elle causait peu, mais à tout ce qu’elle disait on pouvait reconnaître un sens droit et une culture naturelle. Il était facile de témoigner à une pareille personne de l’amitié et de l’estime ; j’étais déjà habitué à le faire par inclination générale : maintenant la bienveillance accoutumée agissait comme devoir de société. Mais, le sort nous ayant unis pour la troisième fois, le malin législateur déclara solennellement que le ciel avait parlé, et que nous ne pouvions plus être séparés. Nous y souscrivîmes tous deux, et nous nous prêtâmes si gentiment de part et d’autre aux devoirs publics du mariage, que nous pouvions être pris pour modèles. Et comme, d’après la constitution générale, tous les couples unis pour la soirée devaient se tutoyer pendant ces quelques heures, nous avions si bien pris, durant une suite de semaines, l’habitude de celle forme familière, que, même dans les intervalles, si nous venions à nous rencontrer, le tu cordial s’échappait de