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mais qui s’effraye, quand l’eau arrive et se précipite à flots irrésistibles par-dessus le seuil et les degrés. Car le plan de vie réglée que mon père avait conçu pour moi était pas à pas dérangé par trop de bonne fortune ; il était retardé et, d’un jour à l’autre, transformé contre notre attente. On ne parlait déjà plus du séjour à Vienne et à Ratisbonne ; toutefois, je devais visiter ces villes, quand je me rendrais en Italie, afin que j’en eusse du moins une idée générale. En revanche, d’autres amis, qui ne pouvaient approuver un si grand détour pour arriver à la vie active, étaient d’avis qu’il fallait profiter du moment où tant de faveur m’était témoignée, et songer à un établissement durable dans ma ville natale. Si j’étais exclu du conseil, d’abord par mon grand-père et ensuite par mon oncle, il y avait cependant d’autres emplois civils, auxquels on pouvait prétendre ; il fallait s’établir dans l’intervalle et attendre l’avenir. Plusieurs agences donnaient assez d’occupation, et les places de résidents étaient honorables. Je me laissais persuader, et je croyais bien aussi que je me ferais à ces emplois, sans avoir examiné si c’était bien mon fait qu’un genre de vie et d’affaires qui demande, de préférence au milieu des distractions, une sage et prudente activité. À ces plans et à ces projets se joignit encore un tendre penchant, qui semblait hâter cette résolution, et m’inviter à me fixer dans la vie domestique.

La société de jeunes gens des deux sexes, dont j’ai parlé plus haut, et qui devait à ma sœur, sinon son origine, du moins sa consistance, s’était toujours maintenue après le mariage et le départ de Cornélie, parce qu’on s’était accoutumé les uns aux autres, et qu’on ne pouvait mieux passer une soirée de la semaine que dans ce cercle d’amis. Cet orateur fantasque, avec lequel nous avons déjà fait connaissance[1], nous était aussi revenu, plus habile et plus malin, après diverses fortunes, et se fit de nouveau le législateur du petit État. Pour faire suite à nos anciens badinages, il avait imaginé quelque chose d’analogue. Il s’agissait de tirer au sort, tous les huit jours, pour former, non pas comme autrefois des couples d’amants, mais de véritables époux. Comment on se comporte envers son amant ou son

  1. Voyez page 201.