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chanté, et déclara qu’il fallait l’imprimer sur-le-champ. Après quelques lettres échangées, je donnai mon consentement, et il se hâta de faire imprimer la pièce à Strasbourg. Je sus, mais longtemps après, que ce fut une des premières démarches par lesquelles Lenz avait eu l’intention de me mettre en mauvais renom auprès du public ; à cette époque, je n’en devinai et n’en soupçonnai rien encore.

J’avais donc conté à mes nouveaux patrons, tout naïvement, et aussi bien que je la savais moi-même, l’origine, non suspecte, de cet opuscule, pour les convaincre qu’il ne s’y trouvait aucune personnalité, aucune autre vue ; je leur avais dit la manière plaisante et hardie dont nous avions coutume de nous harceler et nous railler les uns les autres. Là-dessus je vis les visages s’éclaircir parfaitement ; on admirait, peu s’en faut, notre grande frayeur que personne pût s’endormir sur ses lauriers. On compara notre société à ces flibustiers, qui craignaient de s’amollir dans chaque intervalle de repos, en sorte que, s’il ne se présentait point d’ennemis et rien à piller, leur chef lâchait un coup de pistolet sous la table du festin, afin que, même en paix, on ne manquât ni de douleurs ni de blessures. À la suite de ces entretiens, je résolus d’écrire à Wieland une lettre amicale, et je le fis d’autant plus volontiers, qu’il s’était déjà expliqué très-libéralement dans le Mercure sur cette folie de jeunesse, et s’en était tiré avec esprit, comme il faisait le plus souvent dans les querelles littéraires.

Le peu de jours que je passai à Mayence s’écoulèrent très-agréablement. Quand les princes étaient appelés au dehors par des visites ou des banquets, je restais avec leurs officiers ; je fis le portrait de plusieurs ; je patinais aussi quelquefois ; les fossés gelés de la forteresse m’en offraient la meilleure occasion. Plein de joie d’une si bonne réception, je revins à la maison et j’allais, dès l’entrée, soulager mon cœur par un récit circonstancié, mais je ne trouvai que des visages consternés, et j’appris que nous avions perdu notre amie Klettenberg. Mon trouble fut grand. J’aurais eu besoin d’elle plus que jamais dans ma. situation présente. On me raconta, pour me calmer, que sa sainte vie s’était terminée par une pieuse mort, et que sa confiante sérénité s’était maintenue sans trouble jusqu’à la fin. Un