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une nuits : un sujet intéressant s’insinuait dans l’autre et empiétait sur lui ; plusieurs questions ne furent qu’indiquées, sans qu’il fût possible de les traiter, et, comme le séjour des jeunes princes à Francfort ne devait être que fort court, on me fit promettre de les suivre à Mayence et d’y passer quelques jours. Je le promis de grand cœur, et je revins bien vite porter à mes parents cette agréable nouvelle.

Mon père n’en fut nullement satisfait. Ses sentiments de citoyen d’une ville impériale l’avaient toujours tenu éloigné des grands, et, quoiqu’il fût lié avec les hommes d’affaires des princes et des seigneurs du voisinage, il n’avait avec ceux-ci aucunes relations personnelles. Les cours étaient même au nombre des objets sur lesquels il avait coutume de plaisanter ; mais il trouvait bon qu’on lui fît là-dessus quelques répliques, pourvu qu’elles fussent à son gré vives et spirituelles. Nous avions admis son Procul a Jove, procul a fulmine, en lui faisant toutefois observer que l’essentiel est de savoir non pas d’où part la foudre, mais où elle frappe. Alors il citait le vieux dicton, qu’il ne fait pas bon manger des cerises avec les grands seigneurs : on lui répliquait que c’est encore pis de manger au même panier avec les gourmands. Il ne prétendait pas le nier, mais il avait aussitôt sous la main un autre proverbe rimé, qui devait nous mettre dans l’embarras ; car les proverbes et les devises émanent du peuple, qui, étant contraint d’obéir, aime du moins à parler, tandis que les grands savent se dédommager par l’action. Et comme la poésie du seizième siècle, presque tout entière, est vigoureusement didactique, nous ne pouvons manquer dans notre langue de mots plaisants et graves pour l’usage des petits à l’adresse des grands. Sur quoi, nous autres jeunes gens, nous nous exercions dans l’autre sens,et, nous imaginant être quelque chose de grand, nous nous plaisions à prendre le parti des grands. Voici quelques-uns de ces dits et contredits :

A. La cour à mes yeux c’est l’enfer.
B. Maint bon diable y chauffe sa chair.
A. Tel que je suis, je suis à moi.
A d’autres la faveur du roi !
B. La faveur ! pourquoi t’en défendre ?
Prends-la plutôt, pour la répandre.