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admirer le feuillage, où étaient perchés les oiseaux les plus naturels. Mais ce qui me parut le plus remarquable, ce fut de ne voir ni trou de serrure, ni loquet, ni marteau, et j’en conclus que cette porte ne s’ouvrait que de l’intérieur. Je ne m’étais pas trompé, car, au moment où je m’en approchais pour tâter les ornements, elle s’ouvrit en dedans, et un homme parut, dont l’habillement était assez long, assez ample et singulier. Une barbe vénérable ombrageait son menton, et j’étais disposé à le prendre pour un juif ; mais, comme s’il eût deviné ma pensée, il fit le signe de la croix, me donnant ainsi à entendre qu’il était bon catholique.

« Mon jeune Monsieur, qu’est-ce qui vous amène, et que faites-vous là ? dit-il d’un air et d’un ton gracieux. — J’admire, lui répondis-je, le travail de cette porte, car je n’en ai jamais vu de pareil, si ce n’est sur de petits objets, dans les collections des amateurs. — Je suis charmé, reprit-il, que vous aimiez cet ouvrage. En dedans, la porte est encore beaucoup plus belle. Entrez, s’il vous plaît, » Je ne me sentais pas bien tranquille : le singulier costume du portier, l’isolement et un certain je ne sais quoi, qui me semblait planer dans l’air, m’oppressaient. Je temporisai donc, sous prétexte d’admirer encore le côté extérieur, et je regardai en même temps à la dérobée dans le jardin, car c’était un jardin qui s’était ouvert devant moi. Tout près, derrière la porte, je vis une place que de vieux tilleuls, plantés régulièrement, couvraient de leurs branches touffues, entrelacées, en sorte que les compagnies les plus nombreuses auraient pu y prendre le frais dans la plus grande chaleur du jour. J’étais déjà sur le seuil, et le vieillard sut m’engager à faire toujours un pas de plus. Aussi ne résistais-je pas proprement, car j’avais toujours ouï dire qu’un prince ou un sultan ne doit jamais demander en pareil cas s’il y a du danger. D’ailleurs j’avais mon épée au côté. Et ne saurais-je pas me défaire du vieillard, s’il montrait des dispositions hostiles ?

J’entrai donc, tout à fait rassuré. Le vieillard poussa la porte, qui se ferma si doucement que je m’en aperçus à peine. Alors il me montra l’ouvrage appliqué à l’intérieur, qui, véritablement, était beaucoup plus admirable encore ; il me l’expliqua, me témoignant d’ailleurs une bienveillance particulière. Parfaitement tranquillisé, je me laissai conduire dans l’espace ombragé, le long de la muraille étendue en rond, et j’y trouvai bien des choses à admirer. Des niches, artistement décorées de coquillages, de coraux et de minerais, versaient par des gueules de tritons une eau abondante dans des bassins de marbre ; dans l’intervalle étaient pratiqués des volières et d’autres grillages où des écureuils sautillaient, des cochons d’Inde couraient ça et là, enfin toutes les jolies petites botes qu’on peut désirer. Les oiseaux nous saluaient de leurs cris et de leurs chants à notre passage ; les sansonnets surtout jasaient de la manière la plus folle ! L’un criait toujours : « Pâris ! Pâris ! » et l’autre : « Narcisse ! Narcisse ! » aussi distinctement qu’un petit écolier pourrait le faire. Le vieillard ne cessait pas de me regarder gravement, tandis que les oiseaux criaient ainsi, mais je ne faisais pas semblant de le remarquer, et, en effet, je n’avais pas le temps de prendre garde à lui, car je pouvais fort bien observer que nous faisions le tour d’un rond, et que