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plus en plus dans ses propres idées et ses convictions. De retour chez lui, il agit par lui-même toujours plus librement. Homme généreux et bon, il trouve en lui une idée magnifique de l’humanité, et, ce qui peut la contredire dans l’expérience, tous les défauts, incontestables, qui détournent chacun de la perfection, doivent être effacés par l’idée de la divinité, qui, au milieu des temps, est descendue dans la nature humaine pour rétablir parfaitement son image première.


Je n’en dirai pas davantage sur les débuts de cet homme remarquable, et je me hâte d’en venir au récit de notre heureuse entrevue et du temps que nous passâmes ensemble. Notre correspondance ne durait pas depuis longtemps, quand il m’annonça, comme à d’autres, qu’il allait faire le voyage du Rhin, et qu’il passerait bientôt à Francfort. Aussitôt le public s’émut ; tout le monde était impatient de voir un homme si remarquable ; beaucoup espéraient y gagner pour leur culture morale et religieuse ; les douleurs songeaient à se produire, armés d’objections sérieuses ; les présomptueux étaient assurés de le troubler et de le confondre par des arguments dans lesquels ils s’étaient eux-mêmes affermis ; enfin c’était tout ce que peut attendre de favorable ou de défavorable un homme célèbre qui a dessein de se communiquer à ce monde mêlé.

Notre première entrevue fut cordiale ; nous nous embrassâmes avec la plus vive affection. Je le trouvai tel que de nombreux portraits me l’avaient déjà fait connaître. Je voyais devant moi, vivant et agissant, un personnage unique, distingué, tel qu’on n’en a point vu et qu’on n’en verra plus. Lui, au contraire, il laissa paraître, dans le premier moment, par quelques exclamations singulières, qu’il s’était attendu à me voir autrement. Je lui assurai de mon côté, avec mon réalisme naturel et acquis, que, puisqu’il avait plu à Dieu et à la nature de me faire ainsi, nous devions nous en contenter. Aussitôt nous en vînmes aux questions les plus importantes, sur lesquelles nous avions pu le moins nous entendre par lettres, mais on ne nous laissa pas la liberté de les traiter en détail, et je fis une expérience toute nouvelle pour moi.

Quand nous voulions, nous autres, nous entretenir sur des affaires d’esprit et de cœur, nous avions coutume d’éviter la foule et même la société ; car les diverses manières de penser