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vent, en image. — C’est moi, en effet, dit-il, et les dieux m’envoient auprès de toi avec un message important. Vois-tu ces trois pommes ? »

Il avança fa main et me montra trois pommes, qu’elle pouvait à peine contenir, et aussi merveilleusement belles qu’elles étaient grosses. L’une rouge, l’autre jaune et la troisième verte. Elles semblaient des pierres précieuses, auxquelles on aurait donné la forme de fruits. Je voulus m’en saisir, mais le dieu les retira et me dit : « Apprends d’abord qu’elles ne sont pas pour loi. Tu devras les donner aux trois plus beaux jeunes gens de la ville, qui trouveront ensuite, chacun d’après son lot, des épouses comme ils peuvent les souhaiter. Prends et fais pour le mieux, » dit-il en me quittant. Il plaça dans mes mains ouvertes les trois pommes, qui me semblèrent devenues encore plus grosses. Je les présentai à la lumière, et je les trouvai tout à fait transparentes ; mais bientôt elles s’allongèrent, se dressèrent et devinrent trois belles, belles petites dames, pareilles à des poupées de grandeur moyenne, dont les habits étaient de la même couleur que les pommes avaient été. Puis elles glissèrent doucement au bout de mes doigts, en montant, et, quand je voulus les attraper, pour en garder au moins une, déjà elles voltigeaient haut et loin, et je ne pouvais plus que les suivre des yeux. Je demeurais là tout ébahi et pétrifié, les mains encore en l’air, et je regardais mes doigts, comme s’il y avait eu quelque chose n voir. Tout à coup je vis danser au bout de mes doigts une délicieuse fillette, plus petite que les premières, mais tout à fait éveillée et mignonne, et, comme elle ne s’envolait pas ainsi que les antres, et qu’elle passait, en dansant, d’un doigt à l’autre, je la contemplai quelque temps, émerveillé. Cependant, comme elle me plaisait infiniment, je crus enfin pouvoir la saisir, et je songeais à l’attraper adroitement : mais, à l’instant, je me sentis frappé à la tête de telle sorte que je tombai par terre tout étourdi, et ne m’éveillai de ma stupeur que lorsqu’il fut temps de m’habiller et d’aller à l’église.

Pendant le service divin je passai bien souvent ces images en revue, et aussi à la table de mes grands-parents, chez qui je dînais. Après midi, je voulus aller voir quelques amis, soit pour me faire voir dans mon nouvel habillement, le chapeau sous le bras et l’épée au côté, soit parce que je leur devais une visite. Je n’en trouvai aucun à la maison, et, apprenant qu’ils étaient allés dans les jardins, je résolus de les suivre, et de passer gaiement la soirée avec eux. Je devais longer le boulevard, et j’arrivai à l’endroit qu’on appelle à juste titre le Mauvais mur, car il est toujours assez suspect. Je marchais lentement et je pensais à mes trois déesses, mais surtout à la petite nymphe, et je tenais quelquefois les doigts en l’air, dans l’espérance qu’elle serait assez aimable pour venir s’y balancer encore. Comme j’avançais, occupé de ces pensées, je vis à main gauche, dans le mur, une petite porte, que je ne me souvenais pas d’avoir jamais vue. Elle semblait basse, mais l’ogive qui la terminait aurait livré passage à l’homme le plus grand. L’arcade et les jambages avaient été fouillés avec la dernière élégance par le tailleur de pierres et le sculpteur, mais la porte même attira tout d’abord mon attention. Le bois brun, très-vieux, avec, peu d’ornements, était garni de larges bandes de bronze, travaillées en relief et en creux, et je ne pouvais assez en