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lotte devient la femme de Werther, et tout se termine à la satisfaction générale.

Je n’en ai pas retenu davantage, car je n’ai jamais revu le livre. J’en avais détaché la vignette, et je l’avais placée parmi mes gravures favorites. Par une secrète et innocente vengeance, je composai un petit poëme satirique, Nicolaï au tombeau de Werther, qui n’est pas fait pour être publié. Mon goût de tout dramatiser s’éveilla de nouveau dans cette occasion. J’écrivis un dialogue en prose entre Werther et Charlotte, d’un ton assez railleur. Werther se plaint amèrement que sa délivrance par le sang du coq ait si mal tourné. Il est resté vivant, mais l’explosion lui a crevé les yeux. Il est au désespoir d’être le mari de Charlotte et de ne pas la voir ; car la vue de toute sa personne lui serait presque plus douce que les aimables détails dont il ne peut s’assurer que par le toucher. Charlotte, comme on la connaît, n’est pas non plus fort satisfaite d’un mari aveugle, et l’occasion se trouve ainsi de reprocher hautement à Nicolaï son entreprise de se mêler sans aucune mission des affaires d’autrui. Tout cela était écrit fort gaiement, et faisait allusion librement à cette malheureuse et présomptueuse tendance de Nicolaï à s’occuper de choses au-dessus de sa portée, par où il attira dans la suite à lui-même et à d’autres beaucoup de chagrin, et perdit enfin, malgré ses mérites incontestables, toute sa considération littéraire. Le manuscrit original de ce badinage ne fut jamais copié, et il est détruit depuis nombre d’années. J’avais pour cette production une prédilection particulière. L’amour ardent et pur des deux jeunes gens était plutôt augmenté qu’affaibli par la situation tragi-comique à laquelle ils se trouvaient réduits. Il régnait dans cette composition la plus grande tendresse, et l’adversaire lui-même était traité non pas avec amertume, mais avec gaieté. Je faisais parler moins poliment le petit livre, qui, imitant de vieilles rimes, s’exprimait ainsi : « Que ce présomptueux me déclare dangereux, si cela lui plaît ! Le lourdaud, qui ne sait pas nager, veut s’en prendre à l’eau ! Que m’importent l’anathème de Berlin et ces pédants en soutane ? Qui ne peut me comprendre apprenne à mieux lire ! »

Préparé à tout ce qu’on avancerait contre Werther, je ne me