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représentai les situations qui m’avaient causé le plus de gêne et d’angoisse, mais cela ne prenait aucune forme ; il me manquait un événement, une fable, dans laquelle ces éléments pourraient prendre un corps.

Tout à coup j’apprends la nouvelle de la mort de Jérusalem et, immédiatement après la rumeur générale, le récit exact et détaillé de l’événement. Aussitôt le plan de Werther fut trouvé. L’ensemble se forma de toutes parts, et devint une masse solide, comme l’eau dans le vase, lorsqu’elle est au point de la congélation, est soudain transformée en glace compacte par le moindre mouvement. Conserver cette rare conquête, rendre pour moi vivante une œuvre d’un fonds si marquant et si varié, et l’accomplir dans toutes ses parties, était une chose qui me tenait d’autant plus au cœur, que j’étais retombé dans une situation pénible, qui me laissait encore moins d’espérance que les précédentes, et ne me présageait que des ennuis et peut-être des chagrins.

C’est toujours un malheur de former des relations nouvelles, auxquelles on n’est pas amené par une longue habitude ; on est souvent, contre sa volonté, entraîné à une fausse sympathie ; l’incomplet de situations pareilles fait souffrir, et l’on ne voit pourtant aucun moyen de les compléter ou d’y renoncer. Mme de La Roche avait marié à Francfort sa fille aînée ; elle venait la voir souvent, et ne pouvait s’accommoder à une situation qu’elle avait pourtant choisie elle-même. Au lieu de s’y trouver contente ou de ménager un changement quelconque, elle se répandait en plaintes, et, par là, donnait lieu de croire que sa fille était malheureuse ; et pourtant, comme rien ne lui manquait et que son mari ne la gênait en rien, on ne voyait pas trop en quoi consistait ce malheur. Cependant j’étais bien reçu dans la maison, et j’entrai en rapport avec tout l’entourage, composé de personnes qui avaient contribué au mariage ou qui faisaient des vœux pour son bonheur. M. Dumeitz, doyen de Saint-Léonard, me donna sa confiance et même son amitié. Ce fut le premier prêtre catholique avec lequel j’entrai en relation intime, et qui, en homme très-éclairé, me donna de belles et satisfaisantes explications sur les dogmes, les usages, les rapports extérieurs et intérieurs de l’ancienne Église. Je me rap-