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étrangère, je reconnus véritablement que, dans ma tentative de renoncer à l’unité de temps et de lieu, j’avais aussi porté atteinte à une plus haute unité, qui n’est que plus impérieusement exigée. Comme je m’étais abandonné, sans plan et sans ébauche, à mon imagination et à une impulsion intérieure, j’avais d’abord serré mon sujet d’assez près, et les premiers actes n’étaient point mal pour ce qu’ils devaient être ; mais, dans les suivants, et surtout vers la fin, une passion prestigieuse m’avait entraîné. En m’attachant a peindre Adélaïde sous d’aimables couleurs, j’en étais devenu amoureux ; involontairement ma plume s’était donnée à elle uniquement ; son sort devenait le principal intérêt, et, comme d’ailleurs, vers la fin, Gœtz est rendu inactif et ne revient plus que pour prendre une part malheureuse à la guerre des paysans, c’était une chose toute naturelle qu’une femme séduisante le supplantât chez l’auteur, qui, secouant le joug de l’art, voulait s’essayer dans un nouveau domaine. Je reconnus bien vite ce défaut, disons mieux, cette vicieuse surabondance ; car le caractère de ma poésie me poussait toujours vers l’unité. Alors, au lieu de la biographie de Gœtz et des antiquités allemandes, je portai dans ma pensée mon propre ouvrage, et je cherchai à lui donner toujours plus une valeur historique et nationale, et à faire disparaître ce qu’il y avait de fabuleux ou de simplement passionné. Il m’en coûta plus d’un sacrifice, l’inclination de l’homme devant céder aux convictions de l’artiste. Je m’étais complu, par exemple, à produire Adélaïde dans une effroyable scène nocturne de bohémiens où sa beauté faisait des prodiges : un examen plus attentif me fit supprimer cette scène, et le commerce amoureux de Franz avec sa gracieuse maîtresse, que j’avais développé en détail dans le quatrième elle cinquième acte, fut de même réduit à d’étroites limites, et ne dut paraître que dans ses moments décisifs.

Ainsi donc, sans rien changer au premier manuscrit, que je possède dans sa forme originelle, je résolus d’écrire le tout une seconde fois, et je le fis avec une telle activité, qu’en peu de semaines j’eus devant moi une pièce entièrement refondue. J’étais allé d’autant plus vite en besogne, que j’avais moins l’intention de faire jamais imprimer ce second travail, et ne le regardais non plus que comme un exercice destiné à devenir la