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ticuliers, savent, avec une certaine adresse, se donner de l’importance, et qui, par leurs liaisons avec beaucoup de gens, cherchent à faire elles-mêmes quelque figure. Dès lors j’eus l’occasion de faire plusieurs remarques de ce genre. Comme ces personnes changent ordinairement de résidence, et, en qualité de voyageurs, se montrent tantôt ici, tantôt là, elles ont pour elles la faveur de la nouveauté, qu’on ne doit ni leur envier ni leur troubler : car c’est là une chose traditionnelle, que tout voyageur a souvent éprouvée à son avantage et tout résidant à son préjudice. Quoi qu’il en soit, nous observâmes dès lors avec une attention un peu inquiète, et même jalouse, ces gens qui se donnent la mission de courir à droite et à gauche, de jeter l’ancre dans chaque ville, et de chercher du moins à prendre de l’influence dans quelques familles. J’ai représenté un membre délicat et doux de cette confrérie dans Paier Brey, et un autre, plus vigoureux et plus vert, dans un divertissement de carnaval, sous le titre de Satyrus ou le diable des bois divinisé, dans lequel j’ai montré, sinon des ménagements, du moins de la bonne humeur.

Cependant les éléments bizarres de notre petite société exerçaient encore les uns sur les autres une action assez tolérable : d’un côté, nous étions contenus par la politesse et le savoir-vivre ; de l’autre, nous étions tempérés par le caractère particulier de Mme de La Roche, qui, n’étant que légèrement affectée par ce qui se passait autour d’elle, s’abandonnait toujours à certaines conceptions idéales, et, les exprimant avec grâce et bienveillance, savait adoucir toutes les aspérités qui faisaient saillie dans le cercle, et aplanir les inégalités.

Merck avait donné à propos le signal du départ, si bien que la société se sépara dans les meilleurs termes. Je remontai le Rhin, avec lui et sa famille, dans un yacht qui retournait à Mayence, et, quoique la marche du bateau fût très-lente, nous priâmes le patron de ne pas se presser. Ainsi nous jouîmes à loisir de ces objets, d’une diversité infinie, qui, par un temps magnifique, semblaient croître à chaque heure en beauté, et varier sans cesse en grandeur et en agrément. Je souhaite qu’en me bornant à nommer Rheinfels et Saint-Goar,