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départ, qui ne tarda pas, il prit de moi la promesse que je le suivrais bientôt.

J’espérais du moins que Merck, qui avait alors du loisir, prolongerait son séjour à Giessen, et qu’il me serait permis de passer chaque jour quelques heures avec mon bon Hœpfner, tandis que notre ami travaillerait aux Annonces littéraires de Francfort : Merck fut inébranlable, et la haine le chassa de l’université, comme l’amour en avait chassé mon beau-frère. En effet, comme il y a des antipathies natives ; comme certaines gens ne peuvent souffrir les chats ; que d’autres ont une secrète répugnance pour ceci ou pour cela, Merck était l’ennemi mortel de tout le peuple universitaire, qui, il faut le dire, se complaisait alors à Giessen dans la plus profonde barbarie. Pour moi, je m’en accommodais fort bien ; je les fuirais fort bien mis en œuvre, comme masques, dans un de mes divertissements de carnaval ; mais leur vue pendant le jour, et pendant la nuit leur vacarme, ôtaient à Merck toute espèce de bonne humeur. Il avait passé ses plus belles années dans la Suisse française, et vécu dès lors dans l’agréable société des hommes de cour, des gens du monde, d’administrateurs ou de littérateurs cultivés ; beaucoup de militaires, chez lesquels s’était éveillé le goût de la culture intellectuelle, le recherchaient, et, de la sorte, il passait sa vie au milieu d’un monde fort poli. Il ne fallait donc pas s’étonner que ce désordre le choquât. Mais son aversion pour les étudiants était véritablement plus furieuse qu’il ne convenait à un homme posé ; et pourtant ses-spirituelles peintures de leurs manières et de leur tenue extravagantes me donnaient souvent à rire. Les invitations de Hœpfner et mes exhortations furent inutiles : il me fallut, aussitôt que possible, l’accompagner à Wetzlar.

Je pouvais à peine attendre le moment de l’introduire auprès de Charlotte, mais je n’eus pas à me féliciter de sa présence dans ce cercle : car, de même que Méphistophélès, où qu’il se montre, n’apporte guère la bénédiction, l’indifférence de Merck pour cette personne aimée, si elle n’ébranla pas mes sentiments, ne me fit du moins aucun plaisir. J’aurais pu le prévoir, si je m’étais rappelé que ces femmes sveltes, élégantes, qui répandent autour d’elles une vive gaieté, sans élever d’autres