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voulait faire en chemin la connaissance des hommes les plus distingués. J’étais préparé à ses questions sur mes relations personnelles ; je lui fis un conte croyable, vulgaire, dont il parut satisfait. Après cela, je me donnai pour un étudiant en droit, et je ne soutins pas mal l’épreuve, car je connaissais son mérite dans ce domaine, et je savais qu’il s’occupait justement du droit naturel. Cependant la conversation languit quelquefois, et le savant semblait attendre mon album ou ma révérence : je sus temporiseï’, car j’étais sûr que Schlosser, dont je connaissais la ponctualité, ne tarderait pas à paraître. Il arriva en effet ; il fut reçu à bras ouverts, et, après m’avoir regardé de côté, il parut faire peu d’attention à moi. Hœpfner, au contraire, m’associa à la conversation, et montra une véritable bienveillance. Enfin je pris congé, et je courus à l’auberge, où j’échangeai à la hâte quelques mots avec Merck, pour nous entendre sur la suite.

Les amis étaient convenus d’inviter Hœpfner à dîner, et, avec lui, Chrétien-Henri Schmid, qui jouait un rôle, mais très-subordonné, dans la littérature allemande. C’était proprement contre lui que l’affaire était dirigée, et il allait être joyeusement châtié pour maint péché dont il s’était rendu coupable. Quand les convives furent réunis dans la salle à manger, je fis demander parle sommelier si ces messieurs me permettraient de dîner avec eux. Schlosser, à qui une certaine gravité allait fort bien, fit résistance, ne voulant pas que leur conversation familière fût troublée par un tiers. Cependant, sur les instances du sommelier, et grâce à l’intercession de Hœpfner, qui assura que j’étais un homme supportable, je fus admis, et je me comportai d’abord avec réserve et modestie. Schlosser et Merck ne se gênèrent point, et parlèrent sur divers sujets aussi ouvertement que s’il n’y avait eu là aucun étranger. On mit sur le tapis les questions littéraires les plus importantes et les hommes les plus marquants. Alors je me montrai un peu plus hardi, et je ne me laissais point déconcerter, quand Schlosser me décochait quelque trait d’un air sérieux et Merck avec ironie. Cependant je dirigeai sur Schmid tous les miens, qui tombaient sûrement et vivement sur ses côtés faibles, à moi bien connus.

Je m’en étais tenu modérément à ma chopine de vin ordi-