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fragments et à conserver le souvenir de tentatives perdues et oubliées. Mais, ce qui est déjà fait, on ne peut, on ne doit pas le répéter. D’ailleurs le poète invoquerait vainement aujourd’hui ses facultés obscurcies ; vainement il leur demanderait de faire revivre ces relations aimables qui lui rendirent si doux le séjour de Lahnthal. Heureusement le génie propice s’était chargé d’y pourvoir, et le porta pendant sa florissante jeunesse à fixer un passé récent, à le peindre et à le publier, assez hardiment, à l’heure favorable. Que je fasse allusion dans ce moment à mon petit roman de Werther, on le devine sans autre explication : mais j’en donnerai peu à peu quelques-unes sur les personnages comme sur les sentiments.

Parmi les jeunes hommes, attachés aux ambassades, qui se. préparaient à leur carrière future, il s’en trouvait un que nous appelions tout simplement le fiancé. On remarquait sa conduite calme et posée, la clarté de son esprit, la précision de ses actes et de son langage. Son activité, sa bonne humeur, son application soutenue, le recommandaient tellement à ses supérieurs, qu’on lui promit de le placer bientôt. Là-dessus, il n’hésita pas à se fiancer avec une demoiselle qui satisfaisait parfaitement son cœur et ses vœux. Après la mort de sa mère, elle avait déployé, à la tête d’une jeune et nombreuse famille, une rare activité ; elle seule avait soutenu le courage de son père ; en sorte qu’un époux pouvait espérer d’elle les mêmes soins pour lui et pour ses enfants, et en attendre infailliblement le bonheur domestique. Chacun avouait, même sans nourrir pour soi ces projets intéressés, qu’elle était digne d’être aimée. Elle était de ces femmes qui, sans inspirer des passions violentes, sont faites pour tenir chacun sous le charme. Une taille légère, des formes élégantes, une belle et pure santé, et la joyeuse activité qui en est la conséquence ; l’accomplissement facile des devoirs de chaque jour : tous ces dons étaient son partage. Observer ces qualités était aussi pour moi une jouissance toujours nouvelle, et je me rapprochais avec plaisir de ceux qui la possédaient. Si je ne trouvais pas toujours l’occasion de leur rendre de véritables services, je partageais plus volontiers avec eux qu’avec d’autres ces innocents plaisirs qui sont toujours à la portée de la jeunesse, et qu’on peut se procurer sans beau-