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plus gigantesques ; de l’autre, je les rapprochais de la légende badine, car le trait humoristique qui circule dans toute la mythologie du Nord me paraissait infiniment agréable et digne de remarque. Elle me semblait la seule qui joue sans cesse avec elle-même, qui oppose à une étrange dynastie de dieux d’aventureux géants, des enchanteurs et des monstres, uniquement occupés à dérouter les augustes personnages pendant qu’ils gouvernent, à se moquer d’eux et à les menacer ensuite d’une chute ignominieuse, inévitable.

Je trouvai un intérêt semblable, si ce n’est égal, dans les fables indiennes, que j’appris à connaître d’abord par les voyages de Dapper, et que je serrai aussi avec grand plaisir dans mon magasin de contes. L’Autel de Ram est celui que je réussis le mieux à reproduire, et, malgré la grande variété des personnages de ce conte, le singe Hannemann resta le favori de mon public. Mais ces figures monstrueuses, informes, colossales, ne pouvaient satisfaire mon sentiment poétique : elles étaient trop éloignées du vrai, auquel ma pensée aspirait sans cesse.

Cependant une force admirable allait protéger mon sentiment du beau contre tous ces fantômes que le goût désavoue. C’est toujours une heureuse époque pour une littérature, que celle où de grandes œuvres du passé reprennent une vie nouvelle et reviennent à l’ordre du jour, parce qu’elles produisent alors un effet tout nouveau. L’astre d’Homère se releva pour nous, et ce fut tout à fait dans l’esprit du temps, qui favorisa puissamment cette apparition : appelés sans cesse vers la nature, nous apprîmes à considérer aussi de ce côté les ouvrages des anciens. Ce que plusieurs voyageurs avaient fait pour l’explication de l’Écriture sainte, d’autres le firent pour Homère. Guys ouvrit la carrière, Wood donna l’impulsion. Un compte rendu, publié à Goettingue, de l’ouvrage original, d’abord très-rare, nous en fit connaître le but, et nous apprit à quel point l’exécution était avancée. Nous ne vîmes plus dès lors dans ces poèmes un héroïsme tendu et boursouflé, mais le miroir fidèle d’un âge primitif, et nous cherchâmes à le rapprocher de nous autant que possible. À la vérité, nous ne pouvions en même temps admettre sans réserve que, pour bien comprendre la nature homérique, il fallût apprendre à connaître les peuples sau-