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Par là, je formai quelques relations avec ces jeunes hommes pleins de talent, qui s’étaient groupés, et qui exercèrent plus tard une action si marquée et si diverse. Les deux comtes de Stolberg, Burger, Voss, Hoelty et d’autres étaient réunis par la foi et l’esprit autour de Klopstock, dont l’influence s’exerçait de toutes parts. Dans ce cercle de poètes allemands, qui s’étendait toujours davantage, se développait en même temps, avec des talents poétiques si divers, un autre esprit, auquel je ne saurais donner un nom tout à fait particulier. On pourrait l’appeler le besoin d’indépendance, qui s’éveille toujours dans la paix, c’est-à-dire lorsqu’en réalité on n’est pas dépendant. Durant la guerre, on supporte la force brutale aussi bien qu’on peut ; on se sent lésé dans son corps et dans ses biens, mais non dans son être moral ; la contrainte n’humilie personne, et ce n’est pas une concession honteuse que de céder au temps ; on s’accoutume à souffrir de la part des amis et des ennemis ; on a des désirs et non des sentiments. Dans la paix, au contraire, le sentiment de la liberté humaine se manifeste de plus en plus, et plus on est libre plus on veut l’être ; on ne veut rien souffrir au-dessus de soi ; nous ne voulons pas être opprimés ; nul ne doit être opprimé, et ce sentiment délicat, et même maladif, apparaît dans les belles âmes sous la forme de la justice. Cet esprit se montrait alors partout, et précisément parce que peu de gens étaient opprimés, on voulait les délivrer aussi de cette oppression accidentelle. Ainsi prit naissance une sorte d’opposition morale, une intervention des individus dans le gouvernement, qui, avec des commencements louables, amena d’épouvantables malheurs.

Voltaire, en prenant la défense des Calas, avait produit une grande sensation et s’était fait beaucoup d’honneur. L’entreprise de Lavater contre le bailli Grebel avait été peut-être plus surprenante et plus grave encore pour l’Allemagne. Le sentiment esthétique, joint à l’ardeur juvénile, se poussait en avant, et, tout comme naguère encore on étudiait pour arriver aux offices, on commençait à se faire surveillant des officiers, et le temps approchait où les poètes dramatiques et les romanciers allaient prendre de préférence leurs scélérats parmi les ministres et les fonctionnaires. De là résulta un monde, moitié imaginaire,