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capables, zélés, laborieux, et le tribunal fut établi. Si l’on comprit qu’il s’agissait seulement de pallier le mal et non de le guérir, et si l’on se flatta, comme il arrive en pareil cas, de pouvoir faire beaucoup avec peu, c’est ce qu’on ne saurait décider. En somme, le tribunal servit plutôt de prétexte pour punir les perturbateurs qu’il ne fut un préservatif assuré contre l’injustice. Mais, à peine est-il constitué, qu’il se développe chez lui une force propre ; il voit la hauteur où il est placé ; il reconnaît sa grande importance politique. Il cherche, par une activité surprenante, à conquérir une autorité plus marquée. Les juges expédient tout ce qui peut et qui doit être promptement terminé, ce qui peut être décidé au moment même ou qui est d’ailleurs facile à juger, et, par là, ils se montrent à tout l’Empire actifs et respectables. En revanche, les affaires plus graves, les véritables questions de droit, restaient en arrière, et ce n’était pas un malheur. Ce qui importe à l’État, c’est seulement que la possession soit certaine et assurée ; de savoir si l’on possède légitimement, il en prendra moins de souci. C’est pourquoi le nombre immense et toujours croissant des procès arriérés ne causait aucun tort à l’Empire. On avait pris des mesures contre les gens qui employaient la violence, et l’on pouvait en finir avec eux ; quant aux autres, qui se disputaient juridiquement la possession, ils vivaient, jouissaient ou végétaient comme ils pouvaient ; ils mouraient, se ruinaient, s’accommodaient ; mais tout cela n’était que le bien ou le mal de quelques familles ; peu à peu l’Empire s’était pacifié. Car on avait remis à la Chambre impériale un certain droit manuaire contre les rebelles. Si l’on avait pu prononcer l’anathème, il aurait été plus efficace.

Mais, à l’époque où nous étions arrivés, le nombre des assesseurs ayant tantôt augmenté tantôt diminué, le tribunal ayant éprouvé plusieurs interruptions, ayant été transporté d’un lieu dans un autre, l’arriéré, les pièces, durent s’accroître à l’infini. Dans un péril de guerre, on transporta une partie des archives de Spire à Aschaffenbourg, une autre à Worms ; la troisième tomba dans les mains des Français, qui crurent avoir conquis des archives d’État, et qui se seraient ensuite débarrassés volontiers de ce fatras, si quelqu’un avait voulu seulement fournir les voitures.

Pendant les négociations de la paix de Westphalie, les hommes habiles qu’elles avaient réunis virent bien quel levier était nécessaire pour remuer ce rocher de Sisyphe. On décida de nommer cinquante assesseurs, mais ce nombre ne fut jamais atteint. On se contenta encore une fois de la moitié, parce que la dépense parut trop grande. Cependant, si tous les intéressés avaient compris leur intérêt dans l’affaire, on aurait fort bien pu suffire à tout. Pour les honoraires de vingt-cinq assesseurs, il fallait environ cent mille florins. L’Allemagne aurait bien aisément fourni le double. La proposition de doter la Chambre impériale avec les biens ecclésiastiques confisqués ne put passer. Comment les deux partis religieux se seraient-ils entendus pour ce sacrifice ? Les catholiques ne voulaient pas faire des pertes nouvelles, elles protestants voulaient employer, chacun pour l’avantage de son État, ce qu’ils avaient gagné. La division de l’Empire en deux partis religieux eut encore ici, sous plusieurs rapports,