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sus brûlerait une flamme, qui exprimerait le cœur de l’homme aspirant à son Créateur. Je tirai les pièces et les échantillons les meilleurs de notre collection d’histoire naturelle, qui venait d’être enrichie ; mais le difficile était de les empiler et d’en faire une construction. Mon père avait un beau pupitre à musique, verni en rouge, avec des fleurs d’or, en forme de pyramide à quatre faces, avec plusieurs degrés. On le trouvait très-commode pour les quatuors, mais on en avait fait peu d’usage dans les derniers temps. L’enfant s’en empara, et disposa par degrés, les uns au-dessus des autres, les représentants de la nature, si bien que cela offrait une apparence fort gracieuse et assez imposante. La première adoration devait être accomplie par un beau lever de soleil : seulement, le jeune prêtre était indécis sur la manière dont il produirait une flamme qui devait, lui semblait-il, répandre en même temps une bonne odeur. Enfin l’idée lui vint d’unir les deux choses, car il possédait des pastilles à brûler, qui, sans jeter de flamme, donnaient du moins une lueur et exhalaient le plus agréable parfum. Cette combustion et cette vaporisation paisibles semblaient exprimer, mieux encore qu’une flamme éclatante, ce qui se passe dans le cœur. Le soleil était levé depuis longtemps, mais les maisons voisines cachaient l’Orient. Enfin l’astre parut au-dessus des toits. Aussitôt l’enfant saisit un verre ardent, et alluma les pastilles placées au sommet dans une belle tasse de porcelaine. Tout lui réussit à souhait, et sa dévotion fut parfaite. L’autel resta comme un ornement particulier de la chambre qu’on lui avait assignée dans la maison neuve. Chacun n’y voyait qu’une élégante collection d’histoire naturelle, mais l’enfant savait mieux quel mystère était caché là-dessous. Il lui tardait de renouveler la cérémonie. Par malheur, au moment où le soleil fut monté au point le plus convenable, la tasse de porcelaine ne se trouva pas sous la main de l’enfant ; il plaça les pastilles, sans intermédiaire, sur le haut du pupitre ; il les alluma, et la dévotion du prêtre fut si grande, qu’il ne s’aperçut du dégât causé par son sacrifice que lorsqu’il fut impossible d’y remédier. En effet les pastilles, en brûlant, avaient pénétré affreusement dans le vernis rouge et les belles fleurs d’or, et, comme un mauvais génie qui disparaît, elles avaient laissé leurs noirs vestiges inef-