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ses écrits, parce que les rapports au temps et aux circonstances, comme aux liaisons personnelles, y ressortent plus clairement. Toutefois il me parut évident que, sentant d’une manière toute naïve la supériorité de son esprit, il s’estimait toujours un peu plus avisé et plus sage que ses correspondants, auxquels il montrait plus d’ironie que d’affection. Ce n’était, à vrai dire, que dans certains cas particuliers, mais, pour moi, c’était le grand nombre, et cela m’ôta le désir de rechercher son intimité.

En revanche, nous avions toujours avec Herder une amicale correspondance littéraire ; nous regrettions seulement qu’elle ne put jamais se maintenir paisible et sereine : Herder ne renonçait pas à ses railleries et à ses querelles. Il n’était pas nécessaire de provoquer Merck bien vivement, et il savait aussi exciter mon impatience. Comme, entre tous les écrivains et tous les hommes, Swift était celui que Herder honorait le plus, nous l’appelions lui-même le doyen, et ce fut le sujet de plusieurs brouilleries. Néanmoins ce nous fut une grande joie d’apprendre qu’il était placé à Buckebourg : nomination doublement honorable pour lui, parce que son nouveau patron s’était fait, malgré ses singularités, une grande réputation par son esprit et son courage. Thomas Abbt s’était rendu célèbre dans ce poste ; la patrie déplorait sa mort et voyait avec sympathie le monument que lui avait élevé son protecteur. Herder allait remplacer l’homme qu’on avait trop tôt perdu et remplir toutes les espérances que son prédécesseur avait si glorieusement éveillées. L’époque de l’événement releva l’éclat et l’importance de cette nomination : plusieurs princes allemands suivaient déjà l’exemple du comte de la Lippe, en recevant à leur service, non pas seulement des hommes savants et habiles en affaires, mais des hommes d’esprit et d’avenir. On rapportait que Klopstock avait été appelé par le margrave Charles de Bade, non pour un service proprement dit, mais pour donner par sa présence de l’agrément et de l’intérêt à la haute société. En même temps que cela augmentait la considération de cet excellent prince, attentif à tout ce qui était utile et beau, la vénération pour Klopstock devait s’en accroître sensiblement. Tout ce qui émanait de lui était précieux et chéri. Nous avions grand soin de copier ses odes et ses élégies, à mesure que chacun de nous pouvait se les procurer. Aussi fûmes-nous charmés, quand la landgrave Caroline de liesse. Darmstadt en fit publier un recueil, et que nous eûmes en main un des rares exemplaires, sur lequel nous pûmes compléter nos recueils manuscrits. Aussi cette première forme nous est-elle restée longtemps la plus chère, et nous avons lu souvent encore avec délices des poésies que l’auteur a rejetées plus tard. Tant il est vrai que l’impulsion qui part d’une belle âme exerce plus librement son influence, à proportion qu’elle semble moins avoir été entraînée par la critique dans le domaine de l’art.

Klopstock avait su par sa conduite et son caractère assurer à lui-même et à d’autres hommes de talent considération et dignité ; ils allaient lui devoir aussi, autant que possible, la sécurité et l’amélioration de leur fortune. Jusqu’alors le commerce des livres avait eu pour objet d’importants ouvrages scientifiques, des articles de fonds, qui étaient modestement payés. Mais la production des œuvres poétiques était considérée