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Cérés, dans lesquels était exposée en détail et célébrée la consommation de tant de fruits, et traitée fort plaisamment l’importante question du commerce libre ou restreint de ces denrées. A Ensisheim, nous vîmes l’énorme aérolithe suspendu dans l’église, et, selon la manie sceptique de l’époque, nous tournâmes en ridicule la crédulité des hommes, ne prévoyant pas qu’un jour nous verrions tomber dans nos propres champs de ces corps aériens, ou que du moins nous les garderions dans nos cabinets. Je me rappelle encore avec plaisir un pèlerinage à Ottilienberg, entrepris avec cent ou même avec mille croyants. Dans ce lieu, où se voient encore les fondements d’un castellum romain, une jeune et belle comtesse s’était, disait-on, retirée, par une pieuse inclination, au milieu des crevasses et des ruines. Non loin de la chapelle où les pèlerins font leurs dévotions, on montre sa fontaine et l’on conte de gracieuses légendes. L’image que je me faisais d’elle et son nom se gravèrent profondément dans ma mémoire. Ils m’accompagnèrent longtemps : enfin je donnai ce nom à l’une de mes filles tard venues, mais non pas moins chéries, qui fut accueillie avec une grande faveur par les cœurs pieux et purs.

De cette hauteur encore se développe au regard la magnifique Alsace, toujours la même et toujours nouvelle ; tout comme, dans l’amphithéâtre, où que l’on se place, on voit rassemblée tout entière, mais, d’une manière distincte, ses voisins seulement, il en est de même ici des bocages, des rochers, des collines, des bois, des champs, des prairies, des villages, rapprochés et lointains. On voulut même nous montrer Bâle à l’horizon. Que nous l’ayons vu, je ne voudrais pas en jurer ; mais l’azur lointain des montagnes de la Suisse exerça aussi sur nous son prestige, en nous appelant à lui, et, comme nous ne pouvions obéir à cette impulsion, il nous laissa un sentiment douloureux.

Je m’abandonnais volontiers et même avec ivresse à ces distractions et ces plaisirs, d’autant plus que mes amours avec Frédérique commençaient à me causer de vives inquiétudes. Ces inclinations de jeunesse, nourries à l’aventure, peuvent se comparer à la bombe lancée de nuit, qui monte en décrivant