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que lui sert-il de renier sa langue maternelle, d’en cultiver avec zèle une étrangère ? Il n’est approuvé de personne. Dans le monde, on l’accuse de vanité : comme si, sans amour-propre et sans estime de soi-même, personne voulait et pouvait se communiquer aux autres ! Ensuite les gens qui se piquent de bon ton et de beau langage prétendent qu’il disserte, qu’il dialogue, plutôt qu’il ne converse : l’un est le défaut héréditaire et fondamental des Allemands, l’autre est généralement reconnu comme la vertu cardinale des Français. Comme orateur, il n’est pas plus heureux. Fait-il imprimer un discours bien travaillé, qu’il adresse au roi ou aux princes, les jésuites, qui le haïssent comme protestant, sont aux aguets et signalent ses barbarismes. Au lieu de nous résigner à cela et de supporter, comme bois vert, ce qui pesait sur le bois sec, nous nous révoltâmes contre cette injustice pédantesque, nous désespérâmes du succès, et, par cet exemple frappant, nous nous persuadâmes que ce serait un effort inutile de vouloir satisfaire les Français par le fond, puisqu’ils sont trop attachés aux formes rigoureusement extérieures, sous lesquelles tout doit se manifester. Nous prîmes donc la résolution inverse, de renoncer tout à fait à la langue française et de nous consacrer avec plus de force et de zèle qu’auparavant à la langue maternelle.

La vie même nous y conduisait et nous y encourageait. Il n’y avait pas encore assez longtemps que l’Alsace était réunie à la France, pour qu’un affectueux attachement à l’ancienne constitution, aux mœurs, à la langue, au costume, ne subsistât pas toujours chez les jeunes et les vieux. Quand un peuple subjugué perd, par contrainte, la moitié de son existence, il se croirait déshonoré d’abandonner volontairement l’autre moitié ; il tient donc fermement à tout ce qui peut lui rappeler le bon temps passé et nourrir l’espérance du retour d’une heureuse époque. Bien des habitants de Strasbourg formaient de petites sociétés séparées, il est vrai, mais réunies par l’esprit ; elles étaient sans cesse augmentées et recrutées par les nombreux sujets de princes allemands qui possédaient des terres considérables sous la suzeraineté de la France ; car les pères et les fils séjournaient plus ou moins longtemps à Strasbourg pour leurs affaires ou leurs études.