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plir, l’un réel, l’autre idéal, et c’est dans ce sentiment qu’il faut chercher la base de toute noblesse. Quel rôle réel nous est tombé en partage, nous ne l’apprenons que trop clairement par l’expérience : il est rare que nous soyons éclairés sur le second. Que l’homme cherche sa plus haute destination sur la terre ou dans le ciel, dans le présent ou dans l’avenir, il reste par là exposé intérieurement à une fluctuation perpétuelle, extérieurement, à une influence constamment perturbatrice, jusqu’à ce qu’il ait pris une bonne fois la résolution de reconnaître que le bien est ce qui se trouve à sa mesure.

Parmi les tentatives les plus excusables pour se rattacher, pour s’égaler, à quelque chose de plus élevé, on peut ranger l’inclination des jeunes gens à se comparer avec des personnages de roman. Elle est tout à fait inoffensive et, quoi qu’on puisse dire, tout à fait innocente ; elle nous occupe dans un temps où nous serions condamnés à périr d’ennui ou à chercher des passe-temps passionnés. Combien de fois n’a-t-on pas répété la litanie des maux que font les romans ! Et quel mal y a-t-il à ce qu’une jolie jeune fille, un agréable jeune homme, se mettent à la place d’un personnage plus heureux ou plus malheureux qu’eux-mêmes ? La vie bourgeoise est-elle donc si considérable, ou les besoins journaliers absorbent-ils un homme si complètement, qu’il doive écarter toute noble aspiration ? Il faut considérer sans doute comme de petits rejetons de ces fictions poétiques et romanesques les noms de baptême poétiques et historiques, qui ont pénétré dans l’Église allemande à la place de ceux des saints, et assez souvent en dépit des ecclésiastiques qui administrent le baptême. Il est louable aussi en lui-même, le penchant d’un père à anoblir son enfant par un nom sonore, et cette association d’un monde imaginaire avec le monde réel répand même sur toute la vie de la personne un agréable éclat. Une belle enfant, que nous nommons Berthe avec plaisir, nous croirions l’offenser, si nous devions la nommer Urselblandine. Assurément un pareil nom s’arrêterait sur les lèvres d’un homme bien élevé, et bien plus encore sur celles d’un amant. Laissons un monde froid et exclusif juger ridicule et blâmable toute manifestation de la fantaisie : le sage, qui connaît les hommes, doit savoir l’estimer à sa valeur. Cette