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mant caractère. Cependant j’avais aussi à faire sur moi-même de sérieuses réflexions, qui étaient plutôt de nature à troubler ma gaieté. Depuis qu’une jeune fille passionnée avait maudit et sanctifié mes lèvres (car toute consécration renferme l’un et l’autre), je m’étais gardé, assez superstitieusement, d’embrasser aucune jeune fille, de peur d’exercer sur elle quelque influence fatale. Je surmontais donc tout désir par lequel un jeune homme se sent pressé de ravir à une charmante jeune fille cette faveur, qui dit tant ou si peu de choses. Mais, au sein même de la société la plus décente, une épreuve pénible m’attendait. Ces petits jeux, plus ou moins spirituels, par lesquels est rassemblée et réunie une jeune et joyeuse société, reposent en grande partie sur des gages, dans le rachat desquels les baisers jouent un rôle assez grand. J’avais résolu, une fois pour toutes, de ne pas donner de baisers, et comme une privation ou un obstacle excite chez nous une activité à laquelle nous n’aurions pas été disposés sans cela, je mis en œuvre tout ce que j’avais de bonne humeur et d’adresse pour me tirer d’affaire, de manière à y gagner plutôt que d’y perdre aux yeux de la société et pour elle. Si, pour le rachat d’un gage on demandait des vers, le plus souvent c’était à moi qu’on s’adressait. J’étais toujours prêt, et, dans ces occasions, je savais produire quelque chose a la louange de la maîtresse de la maison ou d’une dame qui avait été particulièrement aimable avec moi. S’il arrivait qu’un baiser me fût imposé, je cherchais à m’en tirer par un faux-fuyant, dont on se contentait également, et, comme j’avais eu le temps d’y penser, je ne manquais pas de trouver quelque gentillesse : cependant l’impromptu était toujours ce qui réussissait le mieux.

Quand nous revînmes à la maison, les hôtes, arrivés de divers côtés, prenaient déjà confusément leurs joyeux ébats ; Frédérique les rassembla, les invita à faire une promenade et les conduisit dans sa jolie retraite. On y trouva une ample collation, et, en attendant l’heure du dîner, les jeux de société commencèrent. D’accord avec Frédérique, qui pourtant ne soupçonnait pas mon secret, je sus arranger et mener jusqu’au bout des jeux sans gages et des rachats de gages sans baisers. Mon adresse et