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stoïciens me parurent au plus haut degré dignes d’être imitées, d’autant plus que la doctrine chrétienne de la résignation recommande la même chose.

À l’occasion de ces maux domestiques, je ferai aussi mention d’un frère, de trois ans plus jeune que moi, qui fut atteint de la même contagion et en souffrit beaucoup. Il était d’un tempérament délicat, silencieux et opiniâtre, et il ne régna jamais entre nous d’intimité. Il était à peine sorti de l’enfance quand la mort l’enleva. Parmi plusieurs frères et sœurs nés après moi et qui ne vécurent pas non plus longtemps, je me souviens seulement d’une très-belle et très-agréable petite fille, qui bientôt disparut aussi, en sorte qu’au bout de quelques années, nous nous vîmes seuls, ma sœur et moi, et notre union n’en fut que plus intime et plus douce.

Ces maladies, et d’autres préoccupations désagréables, eurent des suites doublement fâcheuses, parce que mon père, qui semblait s’être fait comme un calendrier d’éducation et d’enseignement, voulait réparer immédiatement chaque retard, et imposait aux convalescents double charge de leçons. Elles ne m’étaient pas, à vrai dire, fort onéreuses, mais elles m’importunaient, parce qu’elles arrêtaient et faisaient même rétrograder mon développement intérieur, qui avait pris une direction décidée. Contre ces tourments didactiques et pédagogiques, notre refuge ordinaire étaient nos grands-parents. Leur maison était située dans la Friedgasse (rue de la Paix), et avait été, je pense, autrefois un bourg, car, en approchant, on ne voyait rien qu’une grande porte crénelée, qui s’appuyait de part et d’autre contre les deux maisons voisines. Avait-on franchi le seuil, on arrivait enfin par une allée étroite dans une cour assez large, entourée de constructions irrégulières, qu’on avait réunies en une seule habitation. D’ordinaire nous courions d’abord au jardin, d’une remarquable étendue en long et en large, derrière les bâtiments, et très-bien entretenu ; les allées étaient, la plupart, ombragées de treilles ; une partie du jardin était consacrée aux plantes potagères, une autre aux fleurs, qui, du printemps à l’automne, ornaient avec une riche variété les couches et les plates-bandes. La longue muraille tournée au midi était garnie de pêchers en espaliers bien cultivés, dont les fruits défendus mûrissaient