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qui nous environnent ici de leurs charmes. Il suffira de dire que j’obtins le succès auquel peuvent prétendre les inventeurs et les conteurs de pareilles productions : je sus éveiller la curiosité, captiver l’attention, provoquer la solution prématurée d’énigmes impénétrables, tromper l’attente, embarrasser, en mettant à la place de l’étrange des choses plus étranges encore, exciter la compassion et la frayeur, inquiéter, émouvoir, enfin satisfaire le sentiment, en transformant la gravité apparente en un spirituel et riant badinage, et laisser à l’imagination la matière de nouvelles peintures et à l’esprit celle de nouvelles réflexions.


Si plus tard quelqu’un lisait ce conte imprimé, et doutait qu’il ait pu produire un effet pareil, qu’il veuille réfléchir que la véritable mission de l’homme est d’agir dans le présent. Écrire est un abus du langage ; la lecture isolée est un triste pis aller du discours. C’est au moyen de sa personnalité que l’homme agit sur l’homme avec toute sa puissance, et, principalement, la jeunesse sur la jeunesse. Là se développent aussi les effets les plus purs. Ce sont eux qui animent le monde et qui le préservent de mort physique ou morale. J’avais hérité de mon père une certaine faconde didactique, de ma mère le don d’exprimer vivement et gaiement tout ce que l’imagination peut saisir et produire, de rajeunir des fables connues, d’en inventer et d’en conter de nouvelles, d’inventer même en racontant. L’héritage paternel me rendait le plus souvent incommode en compagnie : en effet, quel homme écoutera volontiers les opinions et les sentiments d’un autre, et surtout ceux d’un jeune homme, dont le jugement, vu les lacunes de l’expérience, paraît toujours insuffisant ? Ma mère, au contraire, m’avait doté richement pour le plaisir de la société. Le conte le plus frivole a déjà pour l’imagination un grand charme, et le fonds le plus léger est reçu par l’esprit avec reconnaissance.

Avec ces peintures, qui ne me coûtaient rien, je me faisais aimer des enfants ; j’animais et je réjouissais la jeunesse, et j’attirais sur moi l’attention des personnes âgées. Mais, au milieu de la société, comme elle est faite en général, je dus bientôt renoncer à ces exercices, et, par là, je n’ai que trop perdu pour la jouissance de la vie et le libre développement de l’esprit. Quoi qu’il en soit, ces deux facultés héréditaires m’ont accompagne pendant toute ma carrière, associées à une troisième, le besoin de m’exprimer par figures et par emblèmes. En considérant ces qualités, que l’ingénieux et profond docteur Gall reconnaissait en moi d’après sa doctrine, il assurait que j’étais né pour être orateur populaire. Cette découverte ne me causa pas une petite frayeur, car, si elle était fondée, comme il ne se trouve dans mon pays aucun champ pour la parole, quoi que j’eusse d’ailleurs entrepris, j’aurais manqué ma vocation.