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suffoquer, à la pensée que les jeunes gens arriveraient bientôt. Tout à coup la mère vint à moi, et allait m’adresser une question, quand elle me regarda au visage, et je ne pouvais plus le cacher. Elle eut la parole coupée. « Je cherche Georges, ditelle après une pause, et qui trouve-je ? C’est vous, mon jeune monsieur ? Combien de figures avez-vous donc ? — Au sérieux, une seule, lui répondis-je ; pour le badinage, autant que vous voudrez. — Je ne troublerai pas le vôtre, dit-elle en souriant. Passez derrière le jardin et dans le pré jusqu’à ce que midi sonne. Revenez alors : j’aurai préparé la plaisanterie. »

J’obéis ; mais, lorsque j’eus passé les haies des jardins du village, et que je voulus entrer dans les prairies, quelques paysans s’avancèrent par le sentier, et me mirent dans l’embarras. Je tournai donc vers un bosquet, qui couronnait une éminence voisine, pour m’y cacher jusqu’au moment convenu. Mais quelle fut ma surprise, de trouver à l’entrée une jolie place avec des bancs, de chacun desquels on avait une vue charmante sur le pays ! Ici, c’était le village et le clocher ; là, Drousenheim, et, derrière, les îles boisées du Rhin ; vis-à-vis, les montagnes des Vosges, et enfin la cathédrale de Strasbourg. Ces divers tableaux, rayonnants de lumière, étaient encadrés par les branches touffues, en sorte qu’on ne pouvait rien voir de plus charmant et de plus délicieux. Je m’assis sur un des bancs, et je remarquai, appliquée au plus gros des arbres, une longue planchette avec cette inscription : » Repos de Frédérique. » Je ne songeai point que je fusse peut-être venu pour troubler ce repos ; car une passion naissante a cela de charmant, que, tout comme elle n’a pas conscience de son origine, elle ne peut non plus avoir aucune idée d’une fin ; et comme elle se sent heureuse et sereine, elle ne saurait soupçonner qu’elle pourra bien aussi causer du mal.

J’avais eu à peine le temps de regarder autour de moi, et j’allais me perdre en de douces rêveries, quand j’entendis venir quelqu’un : c’était Frédérique elle-même. « Georges, que fais-tu là ? s’écria-t-elle de loin. — Ce n’est pas Georges, lui répondis-je en courant à elle, mais quelqu’un qui vous demande mille fois pardon. Elle me regarda avec étonnement ; mais elle se remit aussitôt, et me dit avec un profond soupir : « Vilain homme !