Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bientôt après, c’est une chose toute naturelle ; que l’Ile de Felsenbourg n’ait pas été oubliée, on l’imagine aisément. Le voyage de l’amiral Anson autour du monde unissait le sérieux de la vérité aux merveilles du conte, et, en accompagnant par la pensée cet admirable navigateur, nous étions promenés au loin dans le monde entier, et nous essayions de le suivre du doigt sur le globe. Une moisson plus riche encore m’était réservée : je vins un jour à rencontrer une masse d’écrits, qui, dans leur forme actuelle, ne peuvent s’appeler excellents, mais dont la substance nous présente, d’une manière ingénieuse, bien des choses à l’honneur des temps passés.

Le fonds ou plutôt la fabrique de ces livres, connus et même célèbres dans la suite sous le titre d’Ouvrages ou Livres populaires, se trouvait à Francfort même, et, en considération de leur grand débit, ils furent imprimés en stéréotypes, d’une manière presque illisible, sur le plus affreux papier brouillard. Les enfants avaient donc le bonheur de trouver tous les jours ces précieux débris du moyen âge sur une tablette devant la porte d’un bouquiniste, et de se les approprier pour un kreutzer ou deux. Eulenspiegel, les Quatre fils Aymon, la belle Mélusine, l’Empereur Octavien, la belle Madelone, Forlunatus, avec toute la séquelle, jusqu’au Juif errant, tout se trouvait à notre service, aussitôt qu’il nous plaisait de porter la main sur ces ouvrages plutôt que sur quelque friandise. Le plus grand avantage était qu’après avoir usé, à force de les lire, ou avoir autrement gâté ces brochures, nous pouvions bientôt les remplacer et les abîmer encore.

Comme, en été, une promenade de famille est troublée de la manière la plus fâcheuse par un orage soudain, et une joyeuse situation changée en la plus désagréable, ainsi les maladies d’enfant tombent à l’improviste dans la plus belle saison de la vie. Il n’en alla pas autrement pour moi. Je venais d’acheter Fortunatus, avec sa bourse et son petit chapeau magique, quand je fus pris d’un malaise et d’une fièvre, avant-coureurs de la petite vérole. On regardait encore chez nous l’inoculation comme très-chanceuse, et, quoique des écrivains populaires l’eussent déjà clairement et vivement recommandée, les médecins allemands hésitaient à pratiquer une opération qui semble antici-