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reçu de lui à ce sujet aucun avis ni aucun encouragement. Avec tout cela, il demeurait ce qu’il était ; ce qui émanait de lui agissait d’une manière marquante, sinon agréable. Son écriture même exerçait sur moi un pouvoir magique. Je ne me souviens pas d’avoir détruit ou jeté au vent une de ses lettres, ni même une adresse écrite de sa main : toutefois, après tant de changements de temps et de lieux, je n’ai pas conservé un seul document de ces jours heureux, admirables et pleins de pressentiments.

Je ne m’arrêterais pas à dire que la force attractive de Herder se manifesta aussi bien sur d’autres que sur moi, si je n’avais pas à faire observer qu’elle s’étendit particulièrement à Joung, nommé Stilling. L’ardeur loyale et sincère de cet homme devait intéresser au plus haut point toute personne douée de quelque sentiment, et sa réceptivité, provoquer les épanchements de tout homme qui avait quelque chose à dire. Aussi Herder eut-il pour lui plus de ménagements que pour nous ; car Joung semblait réagir sur Herder, à proportion de l’action que Herder exerçait sur lui. Avec ses vues bornées, Joung montrait tant de bonne volonté ; avec son insistance, tant de douceur et de gravité, qu’un homme intelligent ne pouvait être dur avec lui, et un homme bienveillant le railler et s’amuser de lui. Joung fut d’ailleurs tellement exalté par la présence de Herder, qu’il se sentait fortifié et encouragé dans toute sa conduite ; son inclination pour moi sembla même diminuer dans la même proportion. Cependant nous restâmes bons camarades, nous soutenant l’un l’autre comme auparavant, et nous rendant à l’envi les meilleurs services.

Éloignons-nous enfin de la chambre du malade, notre ami, et de ces réflexions générales, qui annoncent plutôt la maladie que la santé de l’esprit ; transportons-nous en plein air, montons à la haute et large plate-forme de la cathédrale, comme si nous étions encore au temps où les jeunes camarades s’y donnaient rendez-vous vers le soir pour saluer, le verre à la main, le coucher du soleil. Là, toute conversation se perdait dans la contemplation de la contrée. On mettait à l’épreuve la force des yeux, et chacun tachait d’apercevoir les objets les plus éloignés, et même de les distinguer nettement ; nous nous aidions