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et les demi-dieux, et d’être témoin de leurs actes et de leurs passions ; j’eus beau alléguer avec détail l’avis, que j’ai rapporté plus haut, d’un homme sérieux, et le fortifier de ma propre expérience : tout cela était sans valeur ; il ne se trouvait dans ces poésies aucune vérité propre, immédiate ; ce n’était ni la Grèce ni l’Italie, ni un monde primitif ni un monde civilisé ; tout n’était qu’imitation de choses connues et une exposition maniérée, comme on peut l’attendre d’un esprit raffiné ; et lorsqu’enfin je voulais soutenir que les productions d’un homme éminent sont encore nature, et que, en définitive, chez tous les peuples anciens et modernes, le poète seul avait été poëte, cela ne m’était nullement accordé, et j’avais à soutenir là-dessus bien des assauts ; j’en avais pris, ou peu s’en faut, mon Ovide en dégoût. Car il n’est pas d’inclination, pas d’habitude si forte, qui, à la longue, puisse tenir contre le dénigrement des hommes supérieurs dans lesquels on met sa confiance. Il en reste toujours quelque chose, et, si l’on n’ose pas aimer sans réserve, l’amour est déjà fort malade.

Je lui cachai surtout avec le plus grand soin l’intérêt que m’inspiraient certains sujets qui avaient pris racine chez moi, et qui devaient se développer peu à peu en figures poétiques. C’étaient Gœtz de Berlichingen et Faust. La biographie du premier m’avait ému jusqu’au fond de l’âme. Ce rude et généreux représentant de la défense personnelle dans une époque de sauvage anarchie excitait ma sympathie la plus vive. La remarquable pièce de marionnettes dont l’autre est le sujet résonnait et bourdonnait dans ma tête sur tous les tons. Moi aussi, je m’étais promené dans toutes les sciences, et j’en avais reconnu assez tôt la vanité. J’avais aussi essayé de tout dans la vie, et j’étais revenu toujours plus mécontent et plus tourmenté. Ces choses et bien d’autres encore me préoccupaient sans cesse, et j’en faisais mes délices dans mes heures solitaires, toutefois sans en rien écrire. Mais je cachai à Herder, plus que tout le reste, ma chimie mystique et cabalistique, et ce qui s’y rapportait, quoique je m’occupasse encore en secret, avec un grand plaisir, à la développer d’une manière plus suivie qu’on ne me l’avait enseignée. De mes travaux poétiques, je crois lui avoir fait connaître les Complices, mais je ne me souviens pas d’avoir